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de droit. Celui qui verse de l’argent éprouve le désir de savoir ce qu’il en advient. De là la nécessité, en matière d’assurance, de prévoir une organisation qui remette l’administration générale et la gestion des fonds entre les mains des intéressés.

En France — j’écarte de mon examen les imperfections des institutions existantes — la Caisse des Retraites des ouvriers mineurs, par exemple, est administrée par un Conseil dans lequel entrent des représentants des Compagnies de mines et des représentants des ouvriers. Les innombrables sociétés de secours mutuels (on dit qu’elles sont une vingtaine de mille) sont dirigées par les représentants élus des cotisants. L’assurance sociale ne pourra exister qu’à condition de reposer sur les institutions spéciales administrées par les représentants des participants.

Le fait d’imposer une contribution patronale et une contribution ouvrière implique donc qu’en principe patrons et ouvriers doivent être appelés à participer à l’administration des institutions d’assurance. La participation ouvrière à la gestion n’est pas sans valeur ; elle constitue un élément important de supériorité de l’assurance sur l’assistance. Mais le prélèvement sur la production aurait permis de justifier que l’administration et la gestion de l’assurance soient remises entre les mains des seuls artisans directs de la production.



Dans l’assurance simple, l’assuré n’a d’avantages qu’en raison de l’effort qu’il a personnellement accompli, et les charges qu’il subit sont d’autant plus lourdes que les risques qu’il encourt sont plus importants.

Dans l’assurance sociale, l’organisation et les conditions de fonctionnement doivent être telles que celui qui est favorisé par le sort ou les circonstances intervienne en faveur de celui qui est défavorisé.

Il est des professions et des régions où l’on risque beaucoup plus la maladie que dans d’autres, parce qu’elles sont particulièrement malsaines. L’assurance étant plus coûteuse, la prime à verser, c’est-à-dire la cotisation devrait être plus élevée ; dans l’assurance sociale, la même cotisation est demandée à tout le monde ; les prévisions de dépenses sont alors établies, non pas pour telle ou telle catégorie de population, mais pour la totalité.

De là une tendance générale, chez tous ceux que ne guide que le souci de réaliser une œuvre largement sociale, à préférer le cadre local ou régional au cadre professionnel pour l’organisation de l’assurance.

L’organisation la plus rationnelle sera donc celle qui, imposant à tous les mêmes obligations, réunira en de mêmes groupements les assurés de toutes professions.

Mais ces groupements, avons-nous dit, doivent être gérés par les représentants des intéressés. D’autre part, et surtout en matière d’assurance-maladie, un contrôle doit être exercé pour limiter autant que possible les abus ; la solidarité ne doit pas permettre à des égoïstes de profiter sans réel besoin de l’effort d’autrui. Tout cela ne peut être qu’à condition que le champ d’action de l’institution d’assurance soit raisonnablement limité.

Si, par exemple, l’on doit constituer des Caisses d’assurance, le champ de recrutement et d’action de celles-ci devrait comporter une circonscription correspondant à un nombre relativement restreint d’assurés, de telle façon que ceux-ci puissent connaître suffisamment les conditions de fonctionnement de la Caisse de laquelle ils font partie.



Mais nous avons dit que la troisième condition — pour que l’assurance soit véritablement sociale — était

qu’elle réalise une sérieuse organisation de la prévention et des soins.

Cela suppose une organisation créant une autorité morale suffisante pour influer sur la nature et l’importance des mesures d’hygiène ; une concentration de moyens financiers telle que l’on puisse multiplier les hôpitaux et les divers établissements de soins, les perfectionner, leur permettre de fonctionner dans des conditions vraiment acceptables.

À cet égard, il est remarquable que la France soit actuellement l’un des pays où la mortalité est la plus considérable. Il est évident — malgré qu’aucune statistique n’existe — que le degré de morbidité est excessif. Et pourtant il est non moins indiscutable que nous jouissons, dans l’ensemble, d’un climat particulièrement favorable. Le rapporteur du projet de loi d’assurances sociales devant la Chambre, dans la législature 1919-1924, estimait que, si le taux de mortalité en France était ramené à ce qu’il est dans la plupart des pays étrangers ayant atteint un stade équivalent de civilisation, nous économiserions 213.000 vies humaines tous les ans. L’on peut calculer les bénéfices qui en résulteraient pour l’économie nationale. Je m’en tiens à une appréciation simplement humanitaire, sentimentale : que de peines, que de douleurs seraient ajournées et souvent évitées !

Combien d’enfants, combien d’adultes seraient sauvés, si l’on envoyait périodiquement les premiers à la campagne, à la mer, à la montagne, si toute personne, dès les premiers symptômes d’une affection, avait la possibilité de se reposer, de se soigner vigoureusement et ainsi d’éviter que la maladie redoutée exerce ses ravages !

Tous les spécialistes de l’assurance sociale du monde entier se sont prononcés pour une centralisation, aussi prononcée que possible, de l’organisation de celle-ci. En Tchéco-Slovaquie, notamment, l’on créa à l’origine une multitude de caisses d’assurances ; un an après, une grande partie avait disparu par fusion au sein d’organismes plus importants.

De l’exemple des diverses nations qui ont précédé la nôtre dans cette voie, une indication très nette semble découler : dans une assurance couvrant à la fois les risques maladie, invalidité et vieillesse, l’organisation la plus rationnelle serait celle qui comporterait à sa base, pour l’assurance-maladie, des caisses locales, et pour les assurances invalidité et vieillesse, des caisses départementales, le tout réuni dans un organisme unique.

C’est-à-dire, dans chaque localité englobant un minimun de x… habitants, faculté de constitution d’une caisse d’assurance-maladie ; les délégués, dans le département, de toutes les caisses maladie, constituant l’Union départementale des caisses d’assurances chargées de l’assurance invalidité et vieillesse, et possédant pour cela la personnalité juridique nécessaire.

L’assurance vieillesse comporte en effet une concentration formidable de capitaux, la constitution de disponibilités financières suffisantes pour développer les institutions hospitalières, créer les préventoriums, sanatoriums, etc., en un mot, donner à la science médicale les moyens de lutter efficacement pour diminuer l’immense douleur humaine.



Enfin, si nous admettons que l’assurance sociale est conditionnée par la solidarité, que la régularité de son fonctionnement financier est conditionnée elle-même par une certaine stabilité du taux général de morbidité et de mortalité, il en résulte la nécessité de prendre toutes mesures susceptibles de maintenir une composition des effectifs d’assurés sensiblement identique à