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dans toutes les affaires publiques une intervention directe, constante et décisive. Nous ne saurions abandonner cela à quelques individus.

Notre abstentionnisme n’est donc pas un oreiller de paresse, mais présuppose toute une action de résistance, de défense, de révolte et de réalisation au jour le jour.

Les socialistes parlementaires n’en ont pas moins prétendu que nous faisions ainsi le jeu de la bourgeoisie. Examinons les faits de près.

Tout le monde se trouve d’accord pour voir dans le parlementarisme une institution bien bourgeoise. Participer à cette institution c’est donc contribuer à son fonctionnement, à son jeu. Est-il possible de changer ce jeu de bourgeois en socialiste ? Les faits sans exception répondent pour nous : Non !

La raison en est bien simple.

Ou la majorité restera bourgeoise et il est incontestable qu’elle imposera son jeu bourgeois à la minorité socialiste. Dans ce cas, toutes les parties sont perdues d’avance, et s’obstiner quand même à jouer avec les bourgeois est incompréhensible, à moins d’admettre que les joueurs socialistes, en perdant tout pour le peuple, peuvent néanmoins gagner quelque chose pour eux-mêmes.

Ou la majorité deviendra socialiste. En ce cas, il est évident que le jeu parlementaire, dont l’origine, le développement et le but sont strictement bourgeois, devra être remplacé par des institutions nouvelles, grâce auxquelles la masse travailleuse ne soit plus jouée.

Pratiquement, l’histoire de toutes les rotations et élections, en Suisse surtout, ou le système est le plus développé et perfectionné, nous apprend que la bourgeoisie arrive toujours à ses fins, en dépit de toutes les « consultations populaires ». D’ailleurs, les moyens ne lui manquent point pour faire illégalement ce qui ne lui est pas accordé légalement. La façon dont la journée légale de huit heures est appliquée devrait pourtant avoir appris quelque chose à nos votards. Et il en est ainsi, d’ailleurs, de toutes les soi-disant lois de protection ouvrière.

Et c’est précisément parce que le suffrage universel est le jeu bourgeois par excellence, même en dehors de toutes les tricheries auxquelles il se prête si bien, que nous sommes abstentionnistes.

Aux jours d’élections ou votations, le croupier bourgeois crie : Faites vos jeux ! Les naïfs qui vont voter verront ramasser leurs bulletins de vote, après quoi ils s’entendront dire : Rien ne va plus ! Et ce jeu du pouvoir, ou le croupier gagne toujours comme à tous les jeux, peut durer éternellement. Les joueurs peuvent bien s’illusionner en réalisant quelques petits gains de temps à autre, mais ils se les verront reprendre avec usure.

S’il y a un point sur lequel nous sommes absolument sûrs d’être dans le vrai, c’est en conseillant au monde ouvrier de s’abstenir de faire le jeu électoral bourgeois.

Ce principe s’applique pour nous non seulement aux élections des Chambres législatives, mais aussi des Conseils de canton, province ou département et des Conseils communaux, de même qu’aux élections des pouvoirs exécutif et judiciaire, là où elles ont lieu comme en Suisse. Nous l’appliquons en outre à toutes les votations découlant des droits de referendum et d’initiative et de l’introduction de la législation dite directe. (Voir ces mots).

Dans l’impossibilité de contester le bien-fondé de nos objections, les partisans du vote finissent par s’écrier : — Votre critique stérile ne rime à rien. Dites-nous donc une bonne fois ce qu’il faut faire.

Remarquons d’abord ce fait. Que nous puissions ou non dire ce qu’il faut faire, cela ne change rien à notre constatation qu’avec le bulletin de vote le résultat est

nul. Or, si telle est la vérité incontestable, ce n’est pas

à nous seulement que doit se poser la question : Que faire ? — mais chacun doit se la poser individuellement.

L’abstentionnisme anarchiste n’obtiendrait que ce résultat de poser impérieusement et universellement cette question : Que faire ? — que sa valeur apparaîtrait déjà très grande.

Avec le système électoral, la grande masse des électeurs s’en rapporte uniquement pour cela à quelques élus. Il en résulte que celui qui vote le fait surtout avec l’idée plus ou moins consciente de s’abstenir ensuite de s’occuper de la chose publique. Il s’en décharge sur son élu. Le vote plus qu’une participation à la vie publique, ne représente qu’un renoncement à s’y mêler. Chaque électeur pense qu’il vaut mieux qu’un autre le fasse pour lui.

Mais la chose publique est si immense, complexe et ardue qu’il n’est pas de trop de la participation directe de toutes les intelligences, capacités et forces pour bien la servir. Or, ou cela se fait en dehors du Parlement et l’utilité de ce dernier apparaît douteuse, ou le Parlement n’intervient que pour ordonner ce que lui Parlement ne sait pas faire à ceux qui le savent, et nous avons le règne systématique de l’incompétence.

Chacun ne pouvant répondre que dans le domaine propre à son activité à la demande : Que faire ? — le Parlement apparaît une absurdité, car il doit par définition répondre à tous les besoins de toute la vie sociale.

Les phrases vagues des programmes électoraux n’ont jamais répondu à la redoutable question : Que faire ? C’est une réponse qu’aucune majorité électorale ne saura jamais donner ; mais chaque individu peut et doit la donner pour tout ce qu’il connait pratiquement des formes innombrables du travail humain.

Et c’est précisément parce que le vote n’est que l’escamotage pour le grand nombre de cette question : Que faire ? — que nous n’en voulons pas.

L. Bertoni.


ABSTRACTION n. f. L’abstraction est une opération de l’esprit par laquelle on considère les qualités indépendamment des substances dans lesquelles elles résident. Ex. : quand on considère la bonté, en général, sans l’appliquer à un individu, on opère une abstraction.

En philosophie, l’abstraction consiste à séparer une chose d’une autre dont elle faisait partie : les idées abstraites sont donc des idées partielles séparées de leur tout et l’abstraction est la faculté qu’a l’esprit de produire ces idées. L’abstraction est spontanée lorsqu’elle vient des sens, de l’attention involontaire, etc… ; réfléchie lorsqu’on fixe à dessein son attention sur une certaine propriété en négligeant les autres. Tant que les idées représentent une qualité particulière d’un objet, elles sont abstraites ; elles deviennent générales lorsque, par un nouveau point de vue, elles représentent une qualité commune à plusieurs objets. L’abstraction est la condition de la science, parce qu’elle permet d’isoler chacune des qualités dont la somme forme un objet, l’on peut dire que chaque science est un système d’abstractions : l’arithmétique abstrait le nombre ; la géométrie l’étendue ; la mécanique le mouvement, etc.

On fait un usage courant des expressions faire abstraction de ou abstraction faite de, laisser de côté, en ne tenant pas compte de. Ex. : l’anarchiste doit s’efforcer de juger sainement, en faisant abstraction de la haine et de l’amour. Au pluriel le mot abstraction sert souvent à désigner des idées vagues et confuses, des préoccupations chimériques. Ex. : au moment de l’action, les anarchistes doivent se garder de se perdre dans les abstractions.