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ART
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tout court, qui poursuit les honneurs et les richesses (car il ne possède point la richesse intérieure de l’artistocrate), flatte la morale et la politique des dirigeants et des dirigés, sert un parti, occupe une situation, est chamarré de titres et de décorations. Il ne crée point une œuvre d’art pour lui faire exprimer l’harmonie qui est en lui, mais afin de reproduire l’inharmonie extérieure et de tirer profit de cette reproduction. C’est un suiveur, qui a la prétention de précéder. C’est un commerçant, un politicien, un réactionnaire dans toute la force du terme. On reconnaîtra facilement, parmi les penseurs, écrivains et artistes contemporains, ceux qui appartiennent à l’artistocratie et ceux qui font partie de la médiocratie.

Quelques noms symbolisent une mentalité, une attitude, un état d’âme, toute une classe d’esprits. L’individualisme des hommes libres neutralise le non-individualisme des esclaves. La vie vaut encore la peine d’être vécue puisqu’elle engendre une minorité dont le courage compense la veulerie de la majorité. — L’artiste est l’homme semblable à tout le monde, aux passions étroites et aux désirs bornés, avec ou sans talent, tandis que l’artiste doublé d’un artistocrate est un caractère et une conscience. Son art reflète la noblesse et l’héroïsme de sa vie. Il n’accomplit point de petits gestes, il n’est point mesquin avec les autres hommes, tout ce qu’il fait est l’expression de sa noblesse intérieure. — La différence entre l’artiste et l’artistocrate est celle qui existe entre l’arriviste et l’homme indépendant, le suiveur et le créateur, celui qui agit pour se réaliser, qui met ses actes en harmonie avec ses idées, et le renégat, qui offre à tous l’exemple des pires palinodies, et n’a point de personnalité. L’artiste est un mercanti, l’artistocrate ne poursuit ni dans ses œuvres ni dans sa vie de but intéressé. L’artiste se met à la remorque d’un parti, l’artistocrate ne fait point de politique, n’agit pas en traître avec ses amis, reste lui-même partout où il passe. Rien ne le détourne de l’idéal qu’il poursuit.

On peut ne pas être artiste, c’est-à-dire créateur d’art, mais aimer l’art et le beau, et par là même on s’égale à l’artiste. Cette beauté, que l’on admire dans l’œuvre d’art, la vie vivante qui émane d’elle, vie de liberté et d’harmonie, on peut la vouloir dans les relations des hommes entre eux, dans leur caractère, leurs passions. Ce désir, ce vouloir, cette aspiration créent en nous l’artistocratie. L’artistocratie, c’est l’élite des individus, hommes ou femmes, qui agissent par eux-mêmes et sentent par eux-mêmes, n’obéissant qu’à leur conscience. Il y a une artistocratie intérieure, — vouloir de liberté, de beauté, d’harmonie — qui s’oppose à la médiocratie extérieure, — ou vouloir de la majorité autoritaire et grégaire. Les hommes qui, en cultivant leur « moi », en le réformant, en l’embellissant, réalisent l’artistocratie, forment par leur ensemble une « artistocratie » internationale sans patrie, sans frontières, sans gouvernement. Le gouvernement de l’artistocrate, c’est sa conscience. Il ne reconnaît à aucune autorité extérieure le soin de le diriger. Sa morale n’est pas la morale traditionnelle. L’artistocrate, c’est l’homme libre.

Nous ne cherchons pas à élever l’artiste sur un piédestal. Il ne s’agit pas de « la part du lion pour l’homme-artiste », il ne s’agit pas de sacrifier des masses entières pour la production du grand homme. Le grand homme est avec la masse quand la masse est dans le vrai, il est contre elle quand elle fait fausse route. L’artistocrate, qui est un individualiste libéré, un individualiste sincère, découvre les aspirations confuses d’une masse peu éclairée, découvre ses aspirations, la révèle à elle-même. Et par là, il tient à l’humanité entière. Il est solidaire de tous ceux qui souffrent. Aux exploiteurs, il fait sentir leur œuvre

illogique et vaine. Aux exploités, il montre la voie de l’affranchissement. Il ne prêche point la haine, pas davantage la résignation. Sa voix se fait entendre à son heure, il sait quitter au bon moment sa tour d’ivoire pour y rentrer une fois qu’il a fait un geste libérateur, son œuvre et sa vie n’étant au fond qu’un même acte. Point de thèse lourde et prétentieuse : c’est par son art libéré de toutes les contraintes qu’il agit au sein de l’humanité, art qui se retrouve dans toutes les paroles qu’il prononce, dans tous les gestes qu’il accomplit. À la volonté de puissance du surhomme nietzschéen, à la volonté de résignation du disciple de Tolstoï, l’individualiste artistocrate oppose sa volonté de beauté, harmonisation du sentiment et de la pensée, synthèse de l’idée et de l’action. — Critique artistocrate. La critique artistocrate se préoccupe de rechercher, dans une œuvre d’art, l’individualisme de son auteur, de retrouver l’homme dans l’œuvre et l’œuvre dans l’homme. Elle ne se borne pas à porter un jugement sur les œuvres de la littérature et de l’art. La critique des mœurs est un aspect de la critique artistocrate, recherchant chez les individus les motifs qui les guident et les jugeant sur leurs actes. — N. B. Il y a de faux artistocrates, comme il y a de faux an-archistes, individualistes ou communistes. Encore un mot dont on a abusé, un vocable qu’on a déformé. Sachons déjouer les manœuvres de ceux qui, se prétendant artistocrates, agissent dans toutes les circonstances de leur vie en médiocrates.
Gérard de Lacaze-Duthiers.


ASSISES (Cour d’). On appelle Cour d’Assises la juridiction chargée de juger, définitivement et sans appel, les infractions à la loi pénale qualifiées « crimes » et punies de peines « afflictives et infamantes », depuis la réclusion jusqu’à la peine de mort L’appréciation du fait, c’est-à-dire la culpabilité ou la non-culpabilité de l’accusé appartient au jury, l’application de la loi et de la peine à la Cour. La Cour d’Assises forme un tribunal composé à la fois de magistrats et de simples citoyens, siégeant non d’une manière permanente, mais par assises, à des époques périodiques appelées sessions (en général tous les trois mois, à Paris tous les quinze jours). Ses décisions, sans appel, ne peuvent être attaquées que par le pourvoi en cassation. Il y a une Cour d’Assises par département, et la session se tient d’ordinaire au chef-lieu. Par exception elle siège à Aix (Bouches-du-Rhône), Bastia (Corse), Carpentras (Vaucluse), Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Coutances (Manche), Douai (Nord), Montbrison (Loire), Reims (Marne), Riom (Puy-de-Dôme), Saintes (Charente-Inférieure), Saint-Flour (Cantal), Saint-Mihiel (Meuse), Saint-Omer (Pas-de-Calais).

Dans tous les départements, les assises sont tenues par un conseiller de la Cour d’Appel, délégué à cet effet pour les présider, et par deux juges faisant fonction d’assesseurs. Pour être juré, il faut avoir trente ans accomplis, « jouir » des droits politiques, civils, et de famille, et ne pas se trouver dans un des cas d’ « incapacité » ou d’ « incompatibilité » établis par la loi. La liste annuelle du jury comprend : pour le département de la Seine, trois mille jurés ; pour les autres départements, un juré par cinq cents habitants, sans toutefois que le nombre des jurés puisse être inférieur à quatre cents et supérieur à six cents. Cette liste est complétée par une liste de jurés suppléants : trois cents pour Paris, cinquante pour les autres départements. Dix jours au moins avant l’ouverture des assises, on tire au sort, en audience publique, au tribunal du chef-lieu d’assises, sur la liste annuelle, les noms des trente-six jurés qui forment la liste de la session. On tire, en outre, quatre