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ART
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L’art n’embellit pas seulement la vie de l’homme ; il lui permet d’atteindre à la seule immortalité qui peut-être soit réelle, par les œuvres qu’il laisse et qui parlent encore de lui aux autres hommes des milliers d’années après qu’il a vécu.

« L’impression de la beauté précède le sens du classement et de l’ordre. L’art vient avant la science. » (É. Reclus). C’est pourquoi tant d’êtres non cultivés sentent l’art si profondément, parfois avec une spontanéité, une lucidité que ne possèdent plus ceux dont le jugement a été faussé par des conventions. Une technique est nécessaire pour pratiquer un art, mais il ne faut pas qu’elle soit emprisonnée dans des règles trop conventionnelles qui détournent l’art de ses véritables fins. Or, toutes les écoles ont plus ou moins appliqué des lois arbitraires. « La première règle de l’art, comme de toute vertu, est d’être sincère, spontané, personnel. » (Ruskin). Pour cela, il faut qu’il soit libre. « La liberté est l’atmosphère de l’art. » (Baudrillart). Ce n’est que dans la liberté qu’il peut s’épanouir pleinement, dans la liberté de ceux qui le produisent comme de ceux qui le goûtent, loin de toute contrainte dirigeante. Comme les hommes libres, l’art n’a pas de patrie. « La littérature nationale, cela n’a plus aujourd’hui grand sens ; le temps de la littérature universelle est venu, et chacun doit aujourd’hui travailler à hâter ce temps », disait Gœthe. L’art n’a pas davantage de religion. « Beethoven répondait à un ami qui invoquait Dieu : Ô homme, aide-toi toi-même ! » (R. Rolland). Les véritables artistes sont des forces de la nature. Comme les Grecs, ils ne voient de divinité que dans la vie qui les entoure, à laquelle ils participent intensément, et dans les moyens qu’elle leur donne de perfectionner leur œuvre. Homère, Rabelais, Michel Ange, Shakespeare, Beethoven, ne sont pas d’une époque, d’un temps, d’une religion, d’une école. Ils les dominent tous, ils appartiennent à l’univers et à tous les temps. L’art ne peut pas être isolé dans la vie, ne vivre que par lui-même et pour lui-même. Pour qu’il prenne son entier développement et atteigne sa suprême expression, il faut qu’il collabore avec toutes les formes de la vie et qu’il soit dans toutes les préoccupations humaines.

L’art doit être social dans le sens le plus complet du terme. « Le principe de cet art doit être que la vie est bonne et que ses manifestations sont belles. Les laideurs sont le produit de l’état social. Pour rendre à la vie sa beauté, il faut donc que l’art à son tour aide à transformer la société et c’est ainsi que tout art social devient un art révolutionnaire. » (B. Lazare). Il ne pourra participer à cette œuvre et atteindre tout son développement, toute son expression, que « lorsque les savants, les artistes, les professionnels instruits engagés dans les multiples entreprises auront cessé d’être, comme ils le sont presque tous de nos jours, les serviteurs à gages des princes et des capitalistes et que, reprenant leur liberté, ils pourront se retourner vers le peuple des humbles et des travailleurs pour les aider à bâtir la cité future, c’est-à-dire à constituer une société qui ne comporte ni laideur ; ni maladie, ni misère. » (É. Reclus). Alors, se dressera pour tous les hommes la véritable « Maison du Peuple ». Elle sera « autrement belle que ne le fut un palais du roi à Persepolis, Fontainebleau, Versailles ou Sans-Souci, car elle devra satisfaire à tous les intérêts, à toutes les joies, à toutes les pensées de ceux qui jadis étaient la foule, la cohue, la multitude, et que la conscience de leur liberté a transformés en assemblée de compagnons. D’abord le palais sera de très vastes proportions, puisqu’un peuple se promènera dans ses cours, se pressera dans ses galeries et dans les allées de ses jardins ; d’immenses dépôts y recevront les provisions de toute espèce nécessaires aux milliers de

citoyens qui s’y trouveront réunis les jours de travail et de fête ; le « pain de l’âme » sous forme de livres, de tableaux, de collections diverses ne sera pas moins abondant que le pain du corps dans les salles de la maison commune, et toutes prévisions pour bals, concerts, représentations théâtrales devront être amplement réalisées. La variété infinie des formes architecturales répondra aux mille exigences de la vie ; mais cette diversité ne devra point nuire à la majesté et au bel ensemble des édifices. C’est ici le lieu sacré où le peuple entier, se sentant exalté au-dessus de lui-même, tentera de diviniser son idéal collectif par toutes les magnificences de l’art et de l’art complet qui suscitera tout le groupe des Muses, aussi bien les plus graves, précédant à l’harmonie des astres, que les plus légères et les plus aimables, enguirlandant la vie de danses et de fleurs. » (É. Reclus.) — Édouard Rothen.


ARTISAN. n. m. (de l’italien artigiano, artisan). — L’artisanat, qui fut prospère jadis, a presque totalement disparu, étouffé par le machinisme moderne. L’artisanat était la méthode de l’artisan laborieux, ouvrier probe et adroit, qui travaillait son œuvre avec amour. L’artisan travaillait lentement peut-être mais son ouvrage était solide et fin et achevé. Pourrait-on en dire autant de tous les objets manufacturés dus au labeur fiévreux et précipité de l’ouvrier d’aujourd’hui ? Le machinisme de plus en plus perfectionné des usines et des ateliers est certainement une preuve de progrès, mais ce progrès est mal compris lorsqu’on se hâte de produire toujours plus vite et qu’on dédaigne les modestes initiatives du travailleur. Il faut perfectionner l’outillage, c’est entendu, mais il ne faut pas en profiter pour considérer l’ouvrier comme un outil secondaire. Il faut que tout en tenant compte du progrès on en revienne a l’esprit de l’artisanat : faire de l’ouvrier un artiste qui aime son travail et qui n’ignore rien de son métier.


ARTISANAT. — État de l’homme qui exerce un métier manuel, nous dit le dictionnaire officiel. Est-ce bien cela ? Pas précisément.

L’artisanat est plutôt la forme prise par la production à certaines époques jusqu’à l’apparition de l’industrie ou de l’exploitation d’une entreprise quelconque selon les formes modernes. Il y a des artisans depuis les temps les plus reculés. Il y en a encore dans nombre de pays et dans certaines branches de la production.

Les découvertes archéologiques faites presque chaque jour en Égypte, en Palestine, dans tous les pays de civilisation ancienne, prouvent que l’artisan a, autant dire, toujours existé.

Maintenant, on donne plus communément le nom d’artisan au producteur qui travaille seul et n’exploite par conséquent personne. C’est ce qui caractérise de nos jours l’artisanat. On peut donc trouver l’artisan dans toutes les branches de l’activité humaine : culture, industrie, art, science, littérature, etc.

Toutefois, pour serrer de plus près la réalité, il convient de ne voir réellement un artisan, dans le sens usuel et général du mot, que dans l’homme qui exerce une profession réellement industrialisée à peu près partout et qui, cependant, continue à exercer une activité qui lui permet de vivre par ses propres moyens en travaillant seul.

C’est le cas de quelques tisserands installés à la campagne qui se servent encore des vieux métiers à bras ; c’est également le cas des dentellières du Nord de la France, de la Belgique, etc., des tapissiers d’Aubusson, des horlogers du Jura Français ou Suisse, des fabricants de jouets rustiques de la Suisse, de l’Italie et de la Russie.