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place dans les différentes chapelles. Aussi furent-elles l’orgueil en même temps que l’œuvre des Communes. « Pas un communier qui ne retrouvait, dans le bel ensemble de l’édifice, la partie où son propre idéal de beauté avait pris sa forme matérielle. » (É. Reclus). Elles s’agrandirent et s’embellirent tant que les Communes furent prospères. Leur art finit avec la liberté des Communes, lorsqu’elles succombèrent sous les coups du pouvoir royal.

En même temps que les cathédrales s’élevaient, la langue se formait au xiiie siècle, la France avait deux langues, celles d’oïl et celle d’oc, également aptes à l’expression de la plus belle littérature. Dans celle d’oïl, ou du Nord, qui est devenue le français, écrivirent alors Rutebeuf, G. de Lorris, Jean de Meung, Villehardouin, Joinville, puis Charles d’Orléans et Villon. Après avoir été la langue incomparable de Rabelais et de Montaigne, elle fut châtrée, au nom du « bon goût », de ce qu’elle avait de plus vivant et de plus populaire pour former le langage académique du xviie siècle. Sa littérature, disparue en grande partie, fut méprisée des pédants qui dirent avec Boileau : « Enfin Malherbe vint… » On aurait dû dire plutôt : « Hélas ! Malherbe vint ! » Mais l’hypocrisie grandissante des mœurs avait de plus en plus besoin de beau langage comme de beaux habits pour parer le mensonge des sentiments comme pour cacher la crasse des corps qu’on ne lavait plus. La langue d’oc, ou du Midi, était celle de la brillante poésie provençale. Elle était si parfaite que Dante hésita entre elle et celle de son pays pour écrire la Divine Comédie. Usitée par un peuple « hérétique », elle vit son essor littéraire arrêté par la croisade des Albigeois.

Le xiiie siècle fut le premier siècle littéraire de la France et, malgré l’avis de Boileau, le plus beau en raison du caractère populaire et de la variété de ses productions. Cette littérature plongea ses racines dans le peuple. Comme les cathédrales, elle fut le produit d’une vaste pensée anonyme, d’un immense travail collectif qui s’adressait à tous. « On sent dans toute cette période la fraîcheur et la vie débordante d’un début de printemps ; il y a des chants dans l’air et les bourgeons éclatent de tous côtés. » (J. Mortensen). La population communale, qui se réunissait dans les cathédrales à certaines heures pour discuter de ses intérêts, se retrouvait aussi sur leur parvis pour les représentations des mystères. Ces spectacles, qui avaient de très nombreux personnages et dont les acteurs étaient pris dans la population, duraient parfois plusieurs jours suspendant toutes les autres formes de l’activité générale. Quoique composés sur des sujets religieux, les mystères, comme les sculptures des cathédrales, s’inspiraient d’un naturisme sans réserves. Avec le réalisme le plus ingénu, Adam et Ève se montraient dans leur nudité d’avant le péché et on représentait l’accouchement de Marie, mère de Jésus. Les acteurs mêlaient aussi au texte les digressions les plus imprévues sur des sujets intéressant la vie communale. La chute des communes devait marquer le déclin, puis la fin, de ce théâtre populaire comme de toute la littérature qui avait la même inspiration, et de l’art des cathédrales. L’art « savant », qui serait de plus en plus étranger au peuple commençait avec la montée du pouvoir royal absolu.

Ce qu’on appelle Renaissance, en appliquant ce terme au mouvement de la pensée et des arts qui eut son plein épanouissement au xve et xvie siècles, ne fut pas une production spontanée. Ce mouvement vint des savants et non du peuple ; il fut artistique et non social, bien que ses fins fussent l’émancipation de l’individu. Il avait été longuement préparé par tous les éléments qui avaient résisté à la destruction de l’antiquité et manifesté déjà leur activité dans toutes les occasions favorables. Le temps de Charlemagne, les invasions arabes et l’effort de liberté des Communes furent les

principales de ces occasions et les périodes de pré-Renaissance. Dès le xive siècle, la Renaissance commença en Italie, pour « ramener la pensée moderne dans les voies ouvertes par les grecs aux libres recherches de l’esprit ». (A. Castelnau). « À deux mille ans d’intervalle, on voit également l’homme chercher à réaliser son idéal en force, en élégance, en charme personnel, ainsi qu’à se développer en valeur intellectuelle et en savoir ». (É. Reclus). Si la période des Communes fut remarquable par son œuvre collective, celle de la Renaissance le fut par la valeur des individualités qu’elle fit surgir. Elles exercèrent leur activité dans tous les genres ; elles s’appliquèrent en particulier à reconstituer autant qu’il fût possible les œuvres de la pensée grecque et latine par l’étude et la critique des manuscrits. Florence fut le centre principal de la Renaissance italienne. L’élan artistique y était tel que des artistes y travaillaient malgré toutes les vicissitudes apportées par la guerre étrangère et civile à laquelle ils participaient souvent. Au milieu de toutes les tyrannies politiques, Florence et les autres villes italiennes connurent par la pensée et par l’art un génie qui dépassa leurs limites et se répandit dans toute l’Europe. Ce génie s’étendit jusqu’à la liberté de l’éducation des enfants de toutes les classes sociales, en pleine nature et autant par le jeu que par l’étude. On se rapprocha de la vérité scientifique en s’éloignant de la foi. L’instinct avait guidé les bâtisseurs de cathédrales vers l’humain ; la science dirigea les artistes de la Renaissance dans la même voie. Léonard de Vinci fut aussi grand savant que grand peintre. L’humain triompha même dans les œuvres de caractère religieux. Michel-Ange, qui a sculpté et peint les chefs-d’œuvre du palais des papes, était « le plus païen des artistes… À vivre dans le monde antique, il se fit une âme antique : il fut un sculpteur grec ». (R. Rolland). Les Noces de Cana, de Véronèse, sont plutôt la représentation fastueuse d’un banquet de l’académie platonicienne de Fiesole que du récit évangélique. « Les figures sont nobles, pleines de sérénité ; le Christ, humanisé par la Renaissance, rayonne de dignité sympathique » (A. Castelnau). Le plus chrétien des peintres, Fra Angelico, qui n’aurait jamais peint le corps humain dans sa nudité, n’oubliait pas pour cela la beauté de ce corps et la montrait dans les lignes des vêtements. L’art, comme les autres formes de la vie, protestait contre un idéal moral « fondé sur l’immolation de la chair et qui est en opposition radicale avec la civilisation ». (A. Castelnau). La Renaissance émancipa la chair du dogme du péché originel et la femme, « être de perdition », put reprendre part à la vie sociale. C’est bien en vain qu’un Savonarole, disciple attardé de saint Paul, fit brûler des tableaux, des instruments de musique et les Contes de Boccace ; il fut lui-même envoyé au bûcher par le pape Alexandre VI « pour crime de trop grande ardeur dans son élan vers Dieu. » (É. Reclus). L’humain se rencontrait avec l’admiration de la nature qui n’avait jamais été abandonnée, surtout en Italie. Au xiie siècle, Joachim de Flore interrompait la messe commencée par un temps de pluie et sortait de l’église avec ses fidèles pour saluer la réapparition du soleil et « contempler la campagne souriante. » (A. Barine). Au temps de la Renaissance, Alberti, un de ses plus grands savants, « dont la douceur magnétique charmait les animaux sauvages, fondait en larmes à la vue d’un bel arbre ou de riches moissons. » (É. Reclus). Comme dit encore É. Reclus : « toute beauté était révélation. » Le sentiment du beau se manifestait dans toutes les formes de la vie et harmonisait les œuvres des hommes, simples artisans ou grands artistes, avec la nature. Enfin, tant de beauté réalisée ne suffisant encore pas dans ce débordement de vie et de savoir, les « utopistes » proposèrent leurs rêves, Thomas Morus, son Utopia, Campanella, sa Cité