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pourquoi l’on peut adopter immédiatement le service d’un an, en attendant une nouvelle réduction. Projet grandiose, dont Fabry n’a pas encore saisi toute la portée. Il est malheureusement accompagné de conditions qui en ternissent l’éclat. Tout d’abord, le gouvernement est désarmé en temps de paix contre les troubles intérieurs, puisque l’armée s’est évanouie. D’où l’obligation d’augmenter les forces de gendarmerie et toute une division de cette arme était prévue pour la capitale. Et puis… voici les ombres du tableau. Avec Fabry-Maginot, on est soldat une fois dans sa vie, pendant 18 mois, on absorbe le militarisme d’un seul coup, sans reprendre haleine, et l’on ne craint aucun revenez-y. Avec Nollet, on savoure les joies de l’initiation militaire à partir de 15 ans. Ce sont des joies gratuites et obligatoires. Et jusqu’à un âge avancé, on retourne, de temps à autre, à la caserne, passer quelques semaines dans le milieu militaire, en attendant le grand jour ; ainsi, on est réellement soldat pendant toute sa vie, et toutes précautions sont prises pour qu’on ne l’oublie pas.

Cette méthode aurait réjoui Jean Jaurès. Il a écrit, en effet, dans un livre que M. Renaudel pourrait réciter sans hésitations :

« Il y a une telle disproportion entre l’effort de caserne demandé à la nation et l’effort qui lui est demandé pour les réserves, qu’elle s’habitue à considérer celles-ci comme des accessoires, comme une superfétation. Le citoyen croit, quand il a donné ses deux années de vie de garnison, qu’il est quitte vraiment envers le pays ; le reste lui apparaît comme une cérémonie vaine et une stérile importunité. M. Bersot disait : En France, on fait sa première communion pour en finir avec la religion, on prend son baccalauréat pour en finir avec les études, et on se marie pour en finir avec l’amour. Il aurait pu ajouter : ET ON FAIT SON SERVICE MILITAIRE POUR EN FINIR AVEC LE DEVOIR MILITAIRE. »

Le citoyen n’entretiendra plus ces coupables illusions. Jusqu’à Painlevé, le Bloc des Gauches donnait satisfaction aux désirs socialistes. Plus de disproportion ni d’accessoires, ni de superfétation ; plus de comparaison possible avec la religion et l’amour ; plus de cérémonie vaine et de stérile importunité. Le citoyen français partage son activité entre le foyer et la caserne : courant sans cesse de l’un à l’autre, il ne sera plus tenté de croire qu’il est quitte envers le pays après son année de service actif. Le programme socialiste se trouve donc réalisé dans sa partie militaire et c’est sans doute une des conquêtes les plus brillantes du Cartel.

C’est d’autant plus éblouissant que, à l’avenir, le soldat ne sera plus distrait une seule minute de son métier, qui consiste à préparer la guerre. Quelles souffrances morales ne doit pas éprouver le citoyen socialiste qu’on arrache à l’instruction au bout de quelques mois pour le transformer en secrétaire ou cuisinier !

Avec l’ordre Nollet, on introduit dans l’armée 100.000 civils des deux sexes qui vont tenir les écritures, préparer la nourriture, brosser les uniformes, cirer les chaussures et le parquet, de manière que, à aucun moment, le citoyen-soldat ne soit obligé d’échanger l’arme de guerre contre le balai ou le porte-plume. Ainsi, le soldat se consacrera tout entier à sa noble tâche. Quel triomphe posthume du grand Jaurès ! L’extension de la doctrine conduit à des résultats surprenants. Chaque année, 10.000 individus s’exonéraient du service militaire sous des prétextes variés : bosse dans le dos, œil en moins, jambe trop courte. On doit les enrôler ; ils feront le ménage des citoyens-soldats, accaparés par leur service. Ordre nouveau, conquête du socialisme ! Le service militaire se transforme en service national, et son extension logique conduira à la conscription des femmes qui travailleront à la cuisine, au bureau, à l’infirmerie, au magasin, à l’atelier.

L’électeur entrera à l’école Fabry ou à l’école Nollet selon qu’il sera pour le bloc national ou pour le bloc des gauches. Si, par hasard, il n’appartient à aucun bloc, il lui serait assez difficile de se prononcer, car dans ce cas, des points de vue très différents pourraient influer sur sa décision.

Le patriote devrait se rallier à la doctrine qui procurera la victoire avec le plus de certitude. Mais la guerre elle-même n’apporterait pas la preuve que le système non appliqué n’aurait pas été meilleur ou pire que l’autre. Les partisans du progrès éternel voteront pour le général Nollet, parce que la méthode Fabry ramène à l’époque où une partie seulement de la population avait le droit d’expirer sur les champs de bataille pour la défense du drapeau. L’égoïsme individuel pourrait se satisfaire du système Fabry, sans s’arrêter à la politique de réaction qu’il exprime.

Cependant, le système Nollet apporte, dès le temps de paix, un adoucissement au militarisme. Il est vrai que l’avantage est presque annulé par les nombreuses obligations que le citoyen traîne après lui jusqu’à sa vieillesse. De plus, le système empêche de rechercher l’emploi où tant de patriotes aiment à se réfugier pendant leur séjour à la caserne.

Il n’est pas commode de choisir et peut-être n’est-ce pas nécessaire, car les deux écoles sont également condamnées depuis l’avènement d’un ministère qui a réconcilié les blocs ennemis. On s’est mis à la recherche d’un métis qui participerait des deux organismes projetés.

Ce métis, c’est le projet Painlevé, projet qui est moins un compromis entre les deux systèmes précédents qu’un rappel mal déguisé de la conception Maginot.

Et la nation française qui s’est demandée pendant des mois si elle verserait son sang selon Nollet ou selon Maginot, dans la guerre prochaine que la perfide Allemagne imposera à la France pacifique, attend le vote de nos législateurs qui, probablement, lui demanderont de mourir, le cas échéant, selon la nouvelle méthode Painlevé. — Jamblique.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions opter ni pour la méthode Fabry-Maginot, ni pour la méthode Nollet, ni pour la méthode Painlevé.

Des hommes libres ne peuvent éprouver aucun enthousiasme pour les fantaisies dangereuses de ces messieurs. Ils ne seront que trop à plaindre d’être forcés de les subir !

Les projets de l’état-major. — D’abord, l’état-major de l’armée fixe à 186.000 le nombre d’hommes nécessaires pour la sécurité du territoire en temps de paix. Il réclame 100.000 militaires de carrière et 30.000 employés civils, un corps mobile de 45.000 hommes formé de blancs et d’indigènes et destiné aux expéditions coloniales, enfin un doublement de forces de gendarmerie portées à 60.000 hommes. Le territoire sera divisé en régions, recevant chacune une division. Ce nombre actuellement, de 20, sera réduit à 16. Il y aura en outre une armée d’Afrique et une armée coloniale, en tout : 650.000 hommes. Ce nombre est considéré comme intangible. L’adoption du service d’un an créerait un déficit de 100.000 hommes qui serait comblé par de nouveaux militaires de carrière et employés civils. Ce contingent serait incorporé en trois étapes, les recrues étant, dans chaque régiment, alternativement affectées à un seul bataillon. En cas de mobilisation, le bataillon le plus jeune reste au dépôt et est remplacé par des disponibles. Chaque régiment donne naissance à deux autres. Il en résulte qu’en temps de guerre, la France pourrait mobiliser 60 divisions en premier échelon et 30 en deuxième échelon.

Ce système sera difficilement accepté par la Chambre. Il tend à la guerre courte et rapide avec l’armée