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« Pour vêtements, ils avaient les peaux des animaux qu’ils abattaient ; pour habitations, des cavernes qu’ils disputaient aux bêtes féroces. Pour nourriture, la chair des animaux qu’ils prenaient à la chasse ou à la pêche. » (Gustave Hervé, Histoire de France pour les Grands.)

Les luttes de tribu à tribu durent être féroces et proportionnées aux difficultés qu’avaient ces « barbares » de se procurer le strict nécessaire à leur existence.

On peut même penser qu’au sein de chaque tribu victorieuse, c’était la guerre. Il n’est pas douteux qu’une fois en possession de la chair des animaux qu’ils avaient tués, disputés à d’autres tribus, le partage ne s’effectuait pas dans une atmosphère de paix. Les plus forts, les plus musclés, tombaient à bras raccourcis sur les plus faibles et se réservaient la part du lion.

Les plus forts devinrent donc des chefs et, par surcroît des… propriétaires !

Ainsi naquit la propriété, réservée aux plus rusés, aux plus astucieux, à tous ceux dont les poings velus se levaient pour écraser les autres, les débiles, ceux qui, s’estimant lésés, manifestaient un peu trop bruyamment leur mécontentement.

Peu à peu, la propriété se développa, et, pour la consolider, ses bénéficiaires organisèrent, fortifièrent les tribus dont ils étaient les chefs incontestés — la force primant le droit.

Dans l’Antiquité, en Orient, s’il n’y avait pas d’armées permanentes, l’armée régulière se recrutait dans la classe privilégiée des guerriers. Mais, plus tard, on recourut à des mercenaires lybiens et asiatiques.

En Grèce, au viie siècle, avant J.-C., le service militaire est obligatoire : c’est quand les classes se développent que la défense est confiée à la classe la plus élevée. Les plus riches des citoyens forment la cavalerie, l’infanterie des hoplites se recrute parmi la classe moyenne. Quant aux pauvres, ils constituent les troupes légères. Les Polémarques, les stratèges, les lochages, sont les chefs de l’armée. Ce n’est qu’au ive siècle qu’on voit surgir les armées de métier.

Sous la Rome républicaine, les prolétaires sont exempts du service militaire. Ne possédant rien, ils n’ont rien à défendre. Peut-être a-t-on peur de mettre des armes entre leurs mains. L’armée se compose uniquement de citoyens qui doivent servir jusqu’à soixante ans !

L’unité militaire s’appelle la légion, divisée en centuries ou manipules.

Marius, général romain, institue les cohortes et ouvre l’armée aux non-citoyens.

Dans la Rome impériale, Auguste, empereur romain, constitue des armées permanentes, d’abord cantonnées sur les frontières. Les esclaves sont armés, mais des révoltes éclatent. L’antimilitarisme n’est pas jeune, comme on voit.

Sous les Francs, la noblesse est guerrière : en cas de guerre, on recrute et on arme par la force les paysans gallo-romains.

(On remarquera que, de nos jours, les procédés n’ont guère changé : les « mauvais » citoyens qui ne veulent à aucun prix aller à la caserne ou défendre la « mère-patrie » lorsque celle-ci est en difficultés avec une « voisine », sont immédiatement arrêtés, traduits en Conseil de guerre et — naturellement — condamnés.)

À l’époque gauloise et franque, l’armée est formée par les contingents de chaque petit État et le roi, chef suprême de la Guerre, convoque ses leudes. Cet appel se nomme le ban.

(Au xxe siècle, ce n’est plus le roi qui convoque ses leudes, et la convocation des troupes ne s’appelle plus le ban. On est bien plus civilisé. D’abord, les mots ont changé ; le ban s’appelle la mobilisation. Et puis, au

nom de la « patrie en danger », tous ceux qui sont reconnus aptes à se faire tuer, quittent leurs vêtements civils et endossent la « glorieuse » tenue bleu-horizon.

Ce que c’est, tout de même, que d’être civilisés !

L’époque féodale, on le sait, est fertile en batailles. Les seigneurs rivaux se font une guerre acharnée. Aussi, les vassaux sont-ils mis à contribution, chaque fois qu’il plaît au seigneur de guerroyer. Le vassal doit à son seigneur le service d’ost ou service militaire.

(On ne peut s’empêcher de remarquer que pour le serf du moyen âge, la patrie, c’était son seigneur ! Elle s’identifiait avec lui. À l’appel de ce dernier, le paysan délaissait la terre et se transformait en soldat, prêt à mourir pour celui dont il était l’esclave maltraité.

Aujourd’hui, comme l’a si bien dit Anatole France, on meurtpour des industriels ! Les prolétaires — serfs du vingtième siècle — sont appelés à rendre le dernier soupir sur les champs de bataille, pour M. Schneider, du Creusot ou M. de Wendel, du Comité des Forges.

Les prolétaires d’aujourd’hui ne peuvent être jaloux des serfs du xiie siècle. Mourir pour de puissants usiniers ou pour de gros propriétaires terriens, n’est-ce pas la même chose ? )

Cependant, la royauté souffre de l’hégémonie des seigneurs.

Et pour mieux les combattre, les villes constituent des milices bourgeoises, pour le plus grand profit des rois.

Mais voici les Temps Modernes. L’organisation régimentaire remonte à Charles IX, mais ce n’est que de Louvois que date réellement l’armée moderne.

Tous les corps sont dotés d’armes et d’uniformes. Vauban fait bâtir des casernes qui serviront à loger les soldats. De plus, ceux-ci touchent une solde régulière. L’avancement étant ouvert à tous, les incapables, grâce à l’argent, peuvent monter en grade et exercer des commandements.

La Révolution procède par engagement et réquisition. Elle se sert de l’armée pour réprimer les émeutes.

En 1798, sous le Directoire, la conscription est adoptée, mais Napoléon lui-même n’ose l’appliquer intégralement ; elle est supprimée par Louis XVIII et jusqu’en 1870 règne l’armée de métier.

De 1815 à 1848 l’institution militaire tombe à un minimum. L’armée est incapable de faire la guerre. Mais la conquête interminable de l’Algérie l’aide à passer le temps. Le régime est pacifique et la politique extérieure timorée. Ce sont les républicains et les libéraux qui constituent l’élément patriote et militariste et qui veulent courir à tout instant en Grèce, en Hongrie ou en Pologne.

De 1848 à 1870, changement de doctrine. Mais, pour ne pas augmenter les charges du peuple, l’Empire laisse l’armée dans sa décrépitude, d’où la défaite.

Stratégie. — Et maintenant, jetons un coup d’œil rapide sur les conceptions stratégiques en honneur chez les Anciens, conceptions qu’ont reprises les Modernes. Sur la stratégie, on ne connaît rien avant les Grecs. Épaminondas, célèbre général thébain, né entre 420 et 410 av. J.-C., un des chefs de la démocratie de Thèbes et Miltiade, appliquent les premières règles. Le grand général de l’Antiquité est Annibal dont Napoléon a perfectionné les méthodes. À signaler que la victoire de Tannenberg, remportée en 1915, par Hindenburg, sur les Russes, lors de la dernière guerre mondiale, est l’exacte copie de la victoire de Cannes (216 av. J.-C.), remportée par Annibal sur les Romains. Jules César est surtout un organisateur. Il n’y a jamais eu d’armée aussi parfaite que l’armée romaine. Son artillerie est formidable. La baliste projetait à 1.000 mètres, un bloc de 800 kilos, La fortification romaine n’a jamais été dépassée. Elle a servi de base aux travaux de Vauban, ingénieur de génie qui a pour maîtres Léonard de Vinci et Michel-Ange.