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pour condamner ses ennemis. » (Œuvre citée, t. VI, p. 412).

Comme aux temps anciens, l’ignorance et l’illogisme enfantin de millions de gens, ou bien une hypocrisie presque inconsciente, fournissent aujourd’hui encore, un terrain excellent à la propagande antisémite. « Le Juif est aussi un de ces étrangers que l’on hait, non point à cause de ses défauts, dont le prétendu Aryen d’Europe ou d’Amérique serait indemne, mais précisément en vertu du vice que l’on partage avec lui. Ou l’accuse d’aimer trop l’argent et de se le procurer bassement. Or, n’est-ce pas là ce qu’on pourrait reprocher aussi à tous ceux, de quelque race ou quelque religion qu’ils soient, qui vendent à faux poids des marchandises avariées, à tous ceux qui acceptent de celui qui les salarie des outrages ou du moins des paroles, des gestes de mépris, à tous ceux qui ramassent l’argent dans le sang et dans la boue ? Ils sont légion. Même l’éducation que l’on donne presque universellement à la jeunesse consiste à lui enseigner de réussir quand même. Et si, dans la concurrence, le Juif est plus heureux que le soi-disant chrétien, celui-ci ne déteste-t-il pas son rival parce qu’il obéit à une jalousie d’esclave ? On lui en veut à la fois de ses vilenies personnelles et de celles que l’on commet en essayant de le distancer dans la course vers la fortune » (Œuvre citée, t. VI, p. 372).

En effet, la chose est simple et claire. Mais combien ne la saisissent pas !… « Le petit nombre de métiers et de professions exercés par les Juifs, et surtout l’importance majeure donnée dans leur existence au commerce de l’argent, a certainement contribué pour une très forte part à leur créer un type particulier qui permet souvent de les distinguer parmi les autres éléments ethniques et sociaux. La morale professionnelle, qui se maintient durant un grand nombre de générations et qui se fortifie du père au fils et de l’aïeul au petit-fils sans être neutralisée ou combattue par une autre morale professionnelle, finit par acquérir une puissance irrépressible ; l’amour du gain sans scrupules finit par se lire dans chaque regard, dans chaque geste, dans chaque expression des traits et mouvements du corps. Des millions de caricatures représentent le Juif aux mains crochues, à l’échine souple, au sourire captieux, au nez d’oiseau de proie ; mais ce n’est point là un type de race : il faut y voir une déformation temporaire, destinée à disparaître avec les causes qui l’ont fait naître, c’est-à-dire avec les conditions de la propriété et la concurrence commerciale. « C’est le ghetto, a-t-on souvent répété, c’est le ghetto qui a fait le Juif ! » En ouvrant les grilles du lieu maudit, on l’a plus qu’à demi déjudaïsé ». (Œuvre citée, t. VI, p. 378). En effet, le même Juif, ne fut-il pas, au temps anciens, le type incarné d’un fanatique, d’un philosophe, d’un enthousiaste, d’un rêveur, désintéressé de toutes les choses de la terre ? Le type humain en général, ne dépend-il pas de l’ambiance ? Combien encore ne le comprennent pas !… Même tous ceux qui veulent « combattre le judaïsme », auraient dû comprendre que le meilleur moyen pour cela serait justement une parfaite tolérance. Et puis, combien de gens ne pensent même pas à des millions de travailleurs juifs qui conservent jusqu’à nos jours les meilleures qualités de la race ! On pourrait à peine trouver dans un autre milieu les mêmes traits de dévouement, de solidarité, de fraternité, de l’idéalisme plus pur que l’on constate parmi les exploités de la population juive. Il est évident que, — comme du reste dans toutes les nations et chez tous les peuples, — il y a aussi dans le peuple juif des bourgeois, des accapareurs, des malhonnêtes, des exploiteurs criminels, et, en même temps, des millions de travailleurs honnêtes, de gens

excellents, de braves… Combien, pourtant, ne le voient pas et considèrent « le Juif » comme l’incarnation de tous les vices et défauts de l’humanité !… « Le feu, excellent moyen de désinfection, était employé, non à détruire les cadavres et les objets contaminés de toute espèce, mais à brûler les malheureux, surtout les Juifs, que l’on accusait de répandre les maladies infectieuses : ainsi, pendant la grande épidémie du xive siècle, on brûla deux mille Israélites à Hambourg et douze cents à Mayence. Et jusqu’en ces derniers temps, l’ignorance populaire a toujours cherché à se venger sur l’ennemi du mal qui lui venait de sa propre incurie » (Œuvre citée, t. VI, p. 470).



Une question surgit : l’antisémitisme, disparaîtra-t-il un jour, et de quelle façon ? Comment faut-il lutter contre cette honte de l’humanité contemporaine ?

Hélas, cette « honte » est loin d’être l’unique ou la principale. Elle tient à tout un système général, à toute une organisation sociale dont elle n’est qu’un des rouages naturels. Elle ne pourra donc disparaître qu’avec ce système, avec cette organisation : avec toute la société moderne.

Il y a, aujourd’hui, pas mal de gens qui auraient rougi à la seule pensée de pouvoir avoir quelque chose de commun avec une telle barbarie, une telle stupidité que l’antisémitisme, des gens qui le combattent, qui s’indignent de ses succès, mais qui, en même temps, sont tout à fait d’accord, comme sur une chose absolument normale, sur les massacres des Marocains, des Géorgiens, des Indous, des Nègres ou, tout simplement, des ouvriers de leur propre pays ; des gens qui, n’étant — pour rien au monde ! — des antisémites, sont pourtant, le plus naturellement et le plus illogiquement du monde, des « antiboches » ou des « antifrançais » ou des « antianglais », etc… C’est de l’inconscience inconcevable ou de l’hypocrisie la plus exécrable. En tout cas, c’est de l’illogisme criant.

L’antisémitisme n’est aujourd’hui, qu’une des faces les plus hideuses du nationalisme le plus bas ; une des manœuvres, un des instruments de la réaction la plus farouche. Il est une des plaies saignantes de notre société en pleine putréfaction. Il est une des manifestations de la contre-révolution en marche qui, profitant de l’ignorance, de l’inconscience des uns, de l’impuissance momentanée des autres, joue sur les plus mauvais instincts pour arriver à ses buts.

La plus grande « honte » de l’humanité contemporaine est toute cette société abominable, en son entier : société où les guerres, les haines nationales, la comédie politique, la tromperie systématique, l’exploitation effroyable, les massacres de toute espèce sont de règle, sont des faits-divers de tous les jours, constituent l’essence même de l’existence.

L’antisémitisme est un élément inhérent à cette société ; il n’est donc ni plus ni moins honteux qu’elle-même. Il en est inséparable ; il ne pourra donc disparaître qu’avec elle.

Lutter contre l’antisémitisme, c’est lutter contre toute cette société affreuse, en son ensemble.

C’est la destruction complète de la société actuelle et sa réorganisation sur de tout autres bases sociales qui amèneront à la disparition définitive de la peste nationaliste et, avec elle, de l’antisémitisme. Il disparaîtra quand les vastes masses humaines, à bout de leurs souffrances et malheurs et au prix des expériences atroces, comprendront, enfin, que l’humanité devra sous peine de mort, organiser sa vie sur les bases naturelles et saines d’une coopération matérielle et morale fraternelle et juste, c’est-à-dire véritablement humaine.