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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

souffrances. Tour à tour ils avaient vu leurs camarades tomber, décimés, les uns par le froid, les autres par les maladies gangréneuses ; tous par l’inanition. Les vivres finirent par manquer complètement. Alors on eut recours aux expédients. Tout passa pour la nourriture jusqu’aux souliers des morts que l’on faisait bouillir dans de la neige, puis griller sur la braise, et quand cette dernière ressource manqua, on se rejeta sur les culottes de peau. Il n’en restait plus qu’une, lorsque M. Volant était arrivé en sauveur, et devant ces inénarrables misères, ce dernier comprit toutes les précautions dont il fallait user. Des ordres sévères furent donnés pour qu’on ne distribuât que peu de nourriture à la fois à ces estomacs qui en avaient perdu l’habitude ; mais malgré cela, l’un des survivants, un breton nommé Tenguy, mourut subitement en avalant un verre d’eau-de-vie, et la joie fit perdre la raison à Tourillet, un autre de ses camarades d’infortune[1]. Quant aux autres, Baudet et Boneau — tous deux originaires de l’île de Rhé — ils se mirent à enfler par tout le corps, et la chaloupe de M. Volant fut changée en infirmerie, pendant qu’à terre, on s’occupait à donner la sépulture aux vingt et un cadavres qui marquaient l’endroit, où la première escouade des matelots de la Renommée avait passé son dernier hiver.

Une modeste croix indiqua le lieu où ils avaient souffert, où ils s’étaient résignés, et où le sacrifice avait été consommé : puis, on reprit la mer, en côtoyant le rivage à distance, rapprochée et en remontant à petites journées, afin de découvrir les traces des gens du canot.

  1. Tourillet était contre-maître, du département de Brest.