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LES ÎLES DANS

ce pandémonium indescriptible s’était donné rendez-vous tout ce qui peut servir à un homme qui, sept mois sur douze, se donne le luxe de vivre comme Robinson Crusoë, loin de toute distraction, de toute amitié, de tout secours humain.

Le Napoléon III partait ce matin-là pour ravitailler les phares de la côte et du golfe Saint-Laurent.

Dans les flancs de sa sainte-barbe sommeillaient dix mille livres de poudre à canon qui — affaire de nerfs probablement — m’ont toujours semblé être un voisinage peu rassurant pour une centaine de barils de pétrole que nous avions à fond de cale. Des quarts de porc salé et de farine, des ballots de marchandises, des caisses d’épiceries balancées lourdement au crochet d’un fort palan, descendaient et disparaissaient par les écoutilles, pendant que sur le pont on rangeait des cages à poules non loin de deux vaches qui ruminaient mélancoliquement au pied du grand mât, en songeant à ces vertes prairies des plaines d’Abraham qu’elles allaient échanger contre les brouillards de l’Anticosti. Un cochon, insoucieux de son sort, se frottait le dos sur l’affût d’un canon, regardant d’un air satisfait un groupe de matelots qui jetaient de grosses toiles cirées sur des balles de foin destinées à être exposées à l’air, pendant que des camarades empilaient des planches et des bardeaux le long des bastingages. Sur la dunette, une charrette donnait l’accolade à une baleinière. Partout ce n’était que chaos, bourdonnement et travail. L’équipage soigneux et attentif s’empressait de mettre la dernière main aux préparatifs du départ, et l’ordre se faisait vite au milieu de ce tohubohu.