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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

Un nouvel acte de sang-froid venait de prolonger les jours de ces malheureux. Voyant la chaloupe grimper sur le dos de la dernière vague, et prévoyant qu’elle la reporterait au large, un matelot avait passé un grelin dans un organeau, l’avait enroulé autour de son poignet, et s’était laissé porter à terre avec lui.

La mer venait de lâcher sa proie ; mais la position des naufragés n’en était guère devenue meilleure. Le hasard les avait jetés sur un îlot que la marée haute recouvrait, et en gagnant la terre ferme, ils faillirent périr une troisième fois. Il fallait traverser à gué la rivière du Pavillon.

Quelques heures après, le petit canot monté par six personnes vint les rejoindre. Elles rapportaient que dix-sept matelots n’avaient pas voulu abandonner M. de Freneuse. Ce dernier ne pouvait se décider à quitter son navire : et on peut se faire une triste idée de cette première nuit passée, par les uns sans abri, et sans feu sur cette terre déserte de l’Anticosti, par les autres sur un navire battu en brèche par la mer, et certains d’être engouffrés par elle d’une minute à l’autre.

À minuit, la tempête était dans toute sa violence. Chacun avait perdu l’espoir de se sauver, lorsqu’au petit jour, on s’aperçut que le navire tenait bon. La violence du flot était tombée. Il n’y avait plus une minute à perdre pour le sauvetage, et chacun se mit à l’œuvre. On embarqua des provisions avariées, les outils du charpentier, du goudron, une hache, quelques voiles. Puis, il fallut regagner terre : et le capitaine de Freneuse les larmes aux yeux et emportant son pavillon, quitta le dernier l’épave de la Renommée.