Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
LE GOLFE SAINT-LAURENT.

jamais son cahier de musique. Dans un moment de folie incontrôlable, il se figura que les modestes chants de la terre ne lui allaient plus. D’une main fébrile il avait déposé sa casquette d’uniforme sur le capot d’échelle, et du haut des bastingages de tribord il s’était perdu dans le trémolo de l’océan.

Ce récit me rappela la mort de mon ami, le commandant Têtu, qui était venu s’éteindre dans ces parages, et comme ce brave garçon subit la loi commune, et qu’il semble oublié maintenant, je crus bon, pendant que flûte et violon allaient toujours crescendo, de me réfugier sur le banc de quart, et là, d’essayer à me rappeler les moindres détails de cette triste occurrence.

On aurait dit que ces choses s’étaient passées la veille, tant elles se présentaient fraîches à ma mémoire.

C’était cependant vers les premiers jours de mai 1868 : la goëlette armée la Canadienne se balançait sur ses ancres, prête à quitter la rade de Québec, pour s’acheminer vers la haute mer. Une véritable coquetterie de marin avait présidé à son armement. Les matelots avaient endossé la tenue de service ; le pont bien ciré dormait des reflets de glace de Venise ; les canons brillaient comme un anneau de fiançailles ; les flammes et les banderoles couraient du beaupré à la corne d’artimon, et de temps à autre un joyeux vivat s’échappait du carré des officiers. On partait pour la campagne de l’année pour courir sus à la contrebande et à la fraude, protéger le gagne-pain des pêcheurs du golfe ; et le commandant qui tenait toujours à bien faire les choses, donnait à ses amis, ce jour-là un repas d’adieu.