Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
LES ÎLES DANS

un matin à la pointe aux Esquimaux, et à l’étonnement de ceux qui étaient présents, prirent à une distance de 20 à 50 verges du rivage 75, 000 livres de flétan. Il est vrai que nos rivaux, au lieu de se diviser sur de niaises questions locales, et de s’asservir insoucieusement au monopole jersiais, ne négligent rien pour obtenir le succès et surtout de gros profits. Ils ont à leur disposition les plus fins voiliers, les engins de pêche les plus perfectionnés, les appâts les plus dispendieux, et par-dessus tout, — chose, paraît-il, impossible à rencontrer chez nous, — ils allient l’esprit de concorde à celui d’entreprise.

Si la visite du capitaine Johnson était intéressante pour nous, elle était pour lui on ne peut plus intéressée. Il venait s’informer si nous allions saisir sa goëlette, car elle pêchait en contrebande et il ignorait complètement ce qui s’était conclu lors de la convention de Genève. Or, le traité devenait en force quelques jours après. Notre capitaine jugea prudent de ne pas trop faire de zèle. Nous avions assez alors des réclamations de l’Alabama ; et sur sa réponse négative, la joie reparut sur toutes ces figures de loups de mer.

On organisa un concert à bord. Un de nos lieutenants avait découvert un violon à trois cordes. Encouragée par les sons d’une petite flûte sournoise, une lutte d’harmonie s’engagea entre ces terribles instruments, le vent et les cordages, pendant que le capitaine qui n’y pouvait rien, nous racontait, en guise de distraction, la fin de son premier ingénieur, M. Crockett. Lors de la croisière précédente, ce musicien distingué, à force de faire des fugues et des arpèges, avait fini un beau soir par fermer à tout