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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

Après s’être respectueusement incliné devant ce collègue du roi de Prusse, qui a nom Barthélémy I, nous cherchions et nous allions trouver quelques-unes de ces paroles polies et flatteuses qui concilient de suite, aux humbles et aux petits, la faveur des grands de la terre, lorsque Gravel, sans plus de façon se mit à marchander les mocassins en peau de caribou qui protégeaient les pieds de Sa Majesté. Barthélémy, avec toute la dignité possible, leva en l’air trois de ses doigts de potentat, pendant que ses lèvres royales daignaient laisser passer le mot « shilling ». Agénor se mit alors à compter six douze sous, et ce fut ainsi que maître Gravel trouva le moyen d’entrer dans les bottes de S. M. Barthélémy I. Le roi devait pourtant avoir une joie plus complète encore que celle que lui procurait la possession de cette menue monnaie. Un de nos camarades de voyage, M. Smith, ayant tiré de sa poche un galon d’argent de la longueur de huit pouces, plus ou moins, remarqua un éclair de convoitise dans la prunelle du chef indien. Il le lui offrit gracieusement, et, dans son enthousiasme, Sa Majesté oublieuse de tout décorum, se mit à danser une gavotte autour de nous. Je crois qu’en ce moment nous aurions pu obtenir n’importe quoi de sa haute protection ; d’autant plus que, si la chose existait en ce royaume, une baronnie vaudrait un mètre de galon rouge, et un duché s’échangerait contre une casquette anglaise. Ô Jean Verrazzano, ô Roberval, ô Cook, ô Marion, ô Lapeyrouse, dire que vous êtes disparus dans les œsophages de gens semblables à ceux-ci, et qui n’auraient pas demandé mieux que de troquer le déjeuner de ce matin-là, contre un bout de cuivre ou un vieux couteau de pacotille !