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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

de son magasin, où nous ne vîmes qu’une assez mince provision de fourrures.

C’était l’époque de la traite avec les Montagnais. Sur la grève gisaient dix ou onze ouigouams, autour desquels pullulaient des chiens à la queue en trompette. La cloche venait de tinter le signal de la prière du soir, et chacun dans la tribu se hâtait, pour arriver un des premiers, à la petite chapelle construite en bois et peinte en bleu à l’intérieur. Les hommes entraient de ce pas furtif et léger qui caractérise les races qui s’en vont, et allaient s’agenouiller du côté qui leur était réservé ; pendant que dans leur compartiment, la tête enveloppée dans un large foulard rouge, les femmes s’accroupissaient sur leurs talons, et ressemblaient ainsi à ces moresques qu’aimait tant à peindre ce pauvre Henri Regnault, tué par les Prussiens à Buzenval. Bientôt, une voix vieillotte et nasillarde attaqua bravement le chapelet. La langue montagnaise doit se prêter admirablement à la déclamation si l’on en juge par notre expérience de ce soir-là ; car, tout en ne manquant pas un seul gloria, ni un seul ave, la vieille chargée de réciter la prière battait intrépidement la mesure sur les antipodes sauvages d’un rejeton des anciens néophytes du P. Maximin Leclère[1]. Le moutard, comme il en avait le droit, hurlait à cœur fendre, pendant que l’implacable main montait et descendait sur la partie lésée, avec la précision d’une pendule. Le chapelet ne subissait pas une minute de retard pour tout cela : et une madone tricotée en laine jaune et bleue

  1. Le P. Maximin Leclère, frère du P. Chrétien Leclère, était de Lille en Flandre, et avait déjà servi cinq ans aux Sept-Îles et à l’île d’Anticosti. Harrisse, Bibliographie de la N-France, p. 160.