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LES ÎLES DANS

homme, femme, filles et enfants tournèrent à bras cet appareil. Le givre, le froid, la lassitude engourdissaient les mains ; le sommeil alourdissait les paupières. N’importe, il fallait tourner toujours, tourner sans cesse, sans se hâter, sans se reposer, tant que durerait ce terrible quart, où la consigne consistait à devenir automate et à faire marcher la lumière qui indiquait la route aux travailleurs de la mer. Pendant ces interminables nuits, où les engelures, les insomnies et l’énervement s’étaient donné rendez-vous dans cette tour, pas une plainte ne se fit entendre. Personne, depuis l’enfant de dix ans jusqu’à la femme de quarante, ne fut trouvé en défaut ; et le phare de l’Île-aux-Œufs continua, chaque minute et demie, à jeter sa lumière protectrice sur les profondeurs orageuses du golfe.

Que de navires, sans le savoir, furent sauvés, ces années-là, par l’héroïsme obscur de Paul Côté, de sa femme et de ses filles, les demoiselles Pelletier.

Déjà, quelques heures avaient été consacrées à la douce hospitalité de ces braves gens, lorsqu’un matelot vint nous prévenir que la baleinière attendait ; et bientôt nous quittions l’île au milieu d’un feu de mousqueterie bien conditionné. Agénor s’était élu à l’unanimité chef de la pétarade du bord, pendant que Paul Côté, debout sur un rocher et armé d’un vieux mousquet français, s’efforçait de remettre consciencieusement à Gravel l’horrible tintamarre que ce dernier s’était ingénié à tirer hors des flancs de son harmonium.

Mais hélas ! cent fois hélas ! le psalmiste avait peut-être en tête le bourdonnement de ces bruyantes salves, lorsqu’il écrivait : « périit