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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

minutes, et, sans secousse, le remet en eau profonde.

— C’est un singulier assemblage de force et de faiblesse qu’un navire, s’écriait, dans un moment semblable, l’amiral Julien de la Gravière ; il dompte un ouragan et trébuche sur un grain de sable.

Notre vaillant steamer était de ceux qui se fient à la mine avenante et toute pastorale du groupe de la Madeleine. Il avait failli en payer la façon ; et notre capitaine qui en était à son premier échouage, dut ce jour-là faire comme l’amiral Bruat, qui avait la réputation d’être le plus rude échoueur du monde. Il apprit par cœur, pour s’en servir au besoin, l’antique proverbe breton :

— Qui veut vivre vieux marin doit saluer les grains et arrondir les pointes[1].

C’était un peu l’opinion de Leblanc qui, lui aussi pendant cette nuit terrible, avait négligé d’arrondir sa pointe, et s’était fait broyer un doigt par le bout de la patte de l’ancre. L’application d’un caustique énergique fut jugée nécessaire. Pendant qu’elle se faisait, de grosses sueurs froides perlaient du front du lieutenant ; mais ses lèvres semblaient, par le plus narquois des sourires, défier les crispations de la chair.

— Ce n’est rien, disait-il, en désignant son doigt pantelant, auprès de l’effort qu’a dû faire

  1. Cet incident de voyage donna rumeur à une dépêche, que publiait le 11 septembre 1875, le Star de Montréal.

    A dispatch from Quebec, States that there has been a rumor for some days past, which was revived again yesterday, that the government steamer « Napoléon III, » which left five weeks ago, on a cruise to the lighthouses of the gulf Saint-Lawrence, has foundered and all hands perished.