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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

Le ministère de la marine s’est montré d’une grande sollicitude pour tout ce qui touche à l’habillement des naufragés. Le maître du phare distribue à chaque homme, dès son arrivée, un excellent gilet de laine bleue, un pantalon en serge, une paire de caleçons, deux vestons de flanelle, des bas, des bottes, des mocassins, des raquettes, un bonnet de fourrure, des mitaines et une chaude vareuse. Pour peu qu’un homme ait de l’énergie, et ne se laisse pas abattre par l’oisiveté et par l’isolement, il peut ainsi passer un hiver assez confortable : et la chasse, la pêche et la coupe du bois de corde le tiennent toujours en haleine empêchant ses muscles de s’engourdir.

La vue de cette chambre désolée, où un interminable hiver s’était passé, avait rappelé au lieutenant Desprès ce qu’il y avait souffert. Devant ses yeux repassait le naufrage de l’Alexina, l’atterrage miraculeux de son unique embarcation, la maladie de Deroy, sa triste agonie, et la nuit terrible de l’ensevelissement. Tout en songeant à ces choses, ses pas distraits l’avaient mené jusqu’à l’endroit où dormait son camarade de danger : et j’aidai Després à planter une croix sur ce tertre solitaire, pour indiquer au passant qu’un chrétien s’était endormi là, sur les bords de la mer, en attendant paisiblement l’heure solennelle de la résurrection.

Mais ces réminiscences d’une troisième croisière, que je dois, pour ne pas me répéter, mêler sans cesse à ceux de mon premier voyage, me font oublier qu’il nous faut retourner à bord. Gagnier et son excellente famille ont reçu nos adieux. Les avirons frappent le flot en cadence ; et pendant que nous tournons le dos à cette