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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

où il passa le reste de la nuit à l’ensevelir, à lui faire un cercueil, et à ouvrir à grand’peine une fosse dans la terre gelée. Ceci se passait au commencement d’avril. Le sept du même mois, l’enfant du gardien de la Pointe-aux-Bruyères rendait à son tour le dernier soupir. Desprès et les autres naufragés venaient de trouver l’occasion de regagner la côte sud : et le malheureux père ; laissé à sa propre initiative, fut forcé de faire l’ensevelissement, la tombe et la fosse : de porter lui-même son enfant jusqu’au petit enclos qui sert de cimetière, et de l’y enterrer au milieu de sa famille au désespoir qui sanglotait un de profundis.

— Je me sentis alors tellement fou de douleur, me disait le brave Gagnier, avec des larmes dans les yeux, que j’oubliai les vivants pour ce cher petit mort. À force de penser à cette catastrophe, je faillis un jour prendre mes jambes à mon cou et me sauver dans les bois.

Ce ne fut qu’en 1875, que j’eus l’occasion de visiter le dépôt de naufragés, où les gens de l’Alexina avaient passé l’hiver. Le lieutenant Couillard-Desprès nous conduisit à cet abri, qu’un gouvernement prévoyant a érigé là, pour les malheureux jetés à la côte. Cet officier en faisait les honneurs avec d’autant plus de plaisir, que lui-même y avait été sauvé d’une mort certaine. L’habitation se compose d’un seul appartement et d’un grenier. Une double rangée de couchettes en bois, superposées les unes sur les autres, fait le tour de cette unique chambre, et les hôtes que le hasard loge à pareille enseigne, n’ont pour matelas que de la paille qui parfois n’est point très-fraîche. Un grand poêle en fonte occupe le milieu de ce