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LES ÎLES DANS

une longue file d’assiettes, de bols et de soucoupes rangés dans des buffets à jour, donnent à la cuisine un perpétuel air de fête. Le salon est joli, bien disposé et trouverait grâce devant le plus difficile. Des chambres à coucher sort ce parfum de linge net et blanc, qui fait l’orgueil des ménagères de notre pays, et depuis la lanterne jusqu’au rez-de-chaussée du phare, tout respire le calme, l’ordre et la propreté.

Hélas ! cette tranquillité ne pouvait toujours durer. Bientôt l’impitoyable mort vint faire jaillir les larmes au milieu de cette douce joie. En 1874 un brigantin, l’Alexina, faisait naufrage près de la Pointe-aux-Bruyères. Tout le monde put quitter l’épave et gagner terre sain et sauf : mais à la suite du froid et de la misère, un matelot de l’Islet, du nom de Deroy, fut atteint d’une fièvre cérébrale. Depuis quelque temps déjà le jeune Thomas Gagnier — il avait treize ans — souffrait de la consomption. On le voyait dépérir promptement sous ce rude climat ; mais en apprenant la terrible position de Deroy, le père du poitrinaire oublia les fatigues que pourrait occasionner à sa famille un nouveau malade, et donna des ordres pour que le matelot fût transporté à la tour. Tous les soins furent prodigués à ce jeune homme de vingt-trois ans : mais sans résultat. Deroy mourut, emporté au milieu d’une attaque de délire, et celui qui ne l’avait pas abandonné un seul instant, son fidèle camarade Adélard Couillard-Desprès — troisième lieutenant à bord du Napoléon III — fut obligé de prendre le cadavre dans ses bras, de le descendre sans bruit, à onze heures du soir — crainte d’attirer l’attention du jeune Gagnier qui se mourait — et d’aller le déposer dans un hangar,