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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

soumis à une nouvelle épreuve. Quelques mois plus tard, un second enfant partit dans une embarcation, conduite par un domestique. Ils se rendaient à trois milles de là ; mais un coup de vent du nord les surprit en vue de la côte, et ils furent entraînés vers la haute mer. Ont-ils été recueillis par un navire qui passait ? Le golfe leur a-t-il donné une de ses vagues pour linceul ? Nul n’a pu pénétrer encore un secret que l’abîme semble vouloir si bien garder.

Notre amphitryon était l’ami intime de David Têtu, et que de fois, ils avaient franchi à pied ou en barge les trente milles qui les séparaient l’un de l’autre, et ce, pour avoir le plaisir de causer et de fumer une pipe ensemble ! Comme tous les inséparables, leurs caractères faisaient antithèse. Ils ne s’accordaient que sur deux choses, la pêche et la chasse. Autant Têtu adorait sa liberté et ses franches coudées, autant Gagnier aimait le confort, la vie domestique. Sur cette île déserte, livré aux seules ressources de son bon sens et de sa modeste bibliothèque, il avait réussi à former et à élever la plus charmante famille du monde. Il est vrai qu’une femme pieuse et dévouée l’avait aidé à mener à bonne fin cette tâche sublime, et que le Dieu qui aime tant les petits enfants avait béni leurs efforts chrétiens.

L’intérieur du phare de la Pointe-aux-Bruyères ressemble plutôt à celui d’une de nos riches chaumières canadiennes-françaises, qu’à un poste jeté au milieu de la solitude, pour guider ou secourir les naufragés. En homme prudent, Gagnier a su tirer parti de tout : pas un coin où l’œil ne rencontrât une armoire. Un poêle toujours ronflant, des couvre-plats bien étamés,