Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
LE GOLFE SAINT-LAURENT.

pin, et surpris par cette avalanche d’un nouveau genre, prit le bois au galop, laissant le propriétaire de la petite carriole de Berthier réfléchir à la philosophie de ces deux vers, que Têtu prenait le malin plaisir de lui répéter, en rechargeant sa carabine :

…………………il ne faut jamais
Vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre.

David Têtu avait reçu de la nature certains talents de société qui, sur l’île d’Anticosti, ne sont pas à dédaigner. Tour à tour cordonnier, mécanicien, inventeur, zoologiste, géologue, lettré, homme du monde, cordon bleu et trappeur, il avait su donner à la maison qu’il habitait le cachet de ses occupations multiples. Aux murs étaient accrochés des canardières, des pistolets, une carabine, un fusil de rempart et des perches de ligne. Dans un coin, on voyait un coffre de pharmacie sauvé du naufrage du Shandon. Tout se coudoyait dans sa petite bibliothèque, depuis le Cornhill Magazine, l’almanach de Raspail, jusqu’à l’imitation de Jésus-Christ et un traité d’entomologie. Une courte-pointe en fourrure couvrait un lit de sangle, auprès duquel se dressait une table de nuit surchargée de boîtes de fossiles et de paperasses, où le maître, au moment où nous entrions, venait d’insérer ses dernières observations météorologiques, et sur lesquelles il avait négligemment jeté, en guise de presse-papier, une énorme défense de morse.

Inutile de peindre la joie de Têtu en nous apercevant. Quoique beaucoup plus âgé que moi, il avait été mon compagnon d’enfance, et bien qu’un mois de causeries n’eût pas suffi