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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

tout est nuageux, opaque. La mer est là, qui confond ses teintes grisâtres avec le ciel fameux : et sans le monotone clapotis de la vague qui se brise sur le flanc du navire, l’homme à la roue croirait que son capitaine le fait voguer vers le néant.

Au milieu de ce chaos, nous devions nous orienter et veiller au plus près : on se trouvait sur la route la plus fréquentée par les navires. La brise fraîchissant vers la tombée de la nuit, les vigies furent doublées. Une houle grosse et longue nous balançait au milieu du rideau de crêpe qui ne cessait de nous couvrir ; et toujours facétieux, Agénor Gravel, qui se souciait fort peu des collisions, profita de l’occasion pour donner du courage à un passager, en lui assurant qu’avec un vapeur en fer, de la force du Napoléon III, on était certain de couler n’importe quel voilier qui viendrait se mettre par notre travers.

Pendant quatre-vingts heures nous eûmes sur les yeux l’impénétrable tissu du brouillard. Quelquefois le soleil perçait en curieux ce dôme de brume, dont nous étions le centre. L’azur du ciel nous apparaissait alors dans toute sa splendeur sereine, mais ce n’était que pour nous renouveler le supplice de Tantale. Tout aussitôt, la voûte sombre se refermait but notre grand mât. D’abord, ce n’étaient que de légers flocons de fumée qui tachetaient rapidement le fond de saphir. Puis des teintes laiteuses, se groupèrent petit à petit autour du disque solaire. D’éblouissante, la lumière devint pâle peu à peu : elle passa au jaune blafard, au roux ; puis elle alla s’amoindrissant, jusqu’à ce que le brouillard plus dense et plus entêté que jamais,