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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

chauffés à rouge, de saluer obséquieusement un passager qu’il ne connaissait pas, ou de lorgner d’un œil de fin connaisseur les meilleurs plats du jour. Gai comme pinson, il commençait ce jour-là un service agréable pour tous et qui ne se ralentit pas une seconde pendant la durée de nos trois croisières.

Ce va et vient de l’illustre Raphaël faisait pressentir les tintements de la cloche du dîner. Nous étions alors par la travers du phare de Saint-Laurent d’Orléans, et au moment où j’allais me lever, j’aperçus dans la direction du sud scintiller au soleil le clocher de la petite église de Beaumont. Je n’ai jamais pu regarder ce temple agreste et sans prétentions, sans que ma pensée ne repliât ses ailes sur elle-même. Sous cette voûte de bois, étoilée dans le genre du siècle dernier, dans ces vieux murs de 1732, non loin de ces fonts baptismaux à la balustrade en fer forgé et fleurdelysé, dorment la chair de ma chair, les os de mes os. C’est là que mes deux frères Charles et Pierre et que ma chère sœur Joséphine attendent, calmes et impassibles dans la tombe, le jour où il sera du bon plaisir de Dieu de mêler ma poussière à leur poussière.

Personne au milieu de ceux qui prenaient l’air sur le pont et regardaient d’un œil distrait ce paysage — pour moi le plus aimé, sinon le plus ravissant du monde — ne se serait douté que j’étais en frais de broyer du noir, et déjà autour de moi les manies d’un chacun s’accentuaient.

À deux pas de là, un étudiant en médecine, propriétaire d’un énorme colis de drogues où s’étaient glissés une foule d’instruments aussi utiles que désagréables, tâtait la clientèle du bord, parlant du mal de mer à celui-ci, pronostiquant un rhumatisme à celui-là, faisant à un