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le père michel.

qu’autour de son bel uniforme souillé de sang, les coups et les balles pleuvaient dru comme grêle.

Ce n’était pourtant que le commencement, et pendant longtemps je n’entendis plus rien de distinct : un cauchemar impossible m’entraînait dans le vertige ; seulement on m’a dit que je m’étais battu comme les autres, et je n’ai pas de peine à le croire, car mon fusil était noir de poudre.

D’ailleurs pas une trace sur mon corps pour m’indiquer clairement que j’avais été en danger de mort.

Quand je commençai à voir ce qui se passait autour de moi, j’eus le frisson.

Des cadavres, de pauvres êtres qui vivaient, pensaient et aimaient peut-être comme moi, au lever du soleil, gisaient pêle-mêle, la figure dans la boue, le corps aplati par les talons de bottes de ceux qui leur avaient marché dessus, et rien que de revoir ces choses-là en pensée, ça me donne la chair de poule.

Nous étions vainqueurs pourtant, et avec 300 hommes, on avait mis en déroute 7,000 américains commandés par le général Hampton.

Je pensai que l’oncle Labrèque serait fier en lisant cela ; car il avait promis à McIntyre de s’abonner à la Gazette de Québec, et puis, la pauvre Marguerite, comme son cœur tremblerait de joie en ne voyant pas mon nom parmi ceux des morts !

Nous sommes tous ainsi faits, Henri, et l’homme est un étrange esprit : ce qui est deuil pour l’un devient souvent cause de joie pour l’autre.