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à la brunante.

Le colonel de Salaberry était déjà parti pour remonter la rive gauche du Châteauguay ; nous ne le rejoignîmes qu’après une marche forcée, et pour nous mettre tout de suite à couper des arbres et à détruire des ponts, comme s’il se fût agi de faire retomber sur les pauvres habitants de l’endroit l’invasion de tous ces étrangers.

Ah ! je vis alors, mon petit Henri, comme c’était une horrible chose que l’art militaire, et je passai la nuit à regretter la vie heureuse que je menais si tranquillement au moulin, lorsque le roi d’Angleterre déclara la guerre aux Bostonnais.

Le lendemain, ce fut bien pis.

On nous fit ranger en bataille : le colonel passa devant nous en donnant tout bas ses ordres à un enfant de seize ans. Celui-ci se dirigea vers mon capitaine, lui montra du bout de son sabre un endroit du bois, et nous voilà partis au pas de course sans savoir où nous allions.

Plus tard, quelques années après, j’ai su que si la bataille avait été gagnée, c’était grâce à nous qui avions défendu le gué de la rivière.

À peine étions-nous installés, à l’affût, derrière le fourré, qu’un officier grand, fort et bel homme, s’avança vers nos lignes en criant :

— Braves Canadiens, rendez-vous ! nous ne voulons pas vous faire de mal !

Ignace Gendreau leva le bout de son fusil ; un éclair jaillit et le géant roula dans l’herbe, pendant