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le père michel.

modestes que j’exerçais auprès du parrain. Je riais dans ma barbe, rien qu’à voir comme ce fils avait poussé vite ; et ces rêveries aidaient à tuer l’inquiétude, car enfin le jour décisif était venu.

Je me rendis tout pensif chez le capitaine Boilard, un bon vieux qui, après m’avoir demandé mon âge, mon nom et m’avoir fait prendre un carré de papier, se concerta un instant avec le docteur qui m’avait examiné des pieds à la tête puis, se tournant vers moi me dit d’un air radieux :

— Tu as fièrement de la chance, mon garçon ; tu te trouves être un des premiers à courir à la frontière pour défendre ton pays. Allons, demi-tour à droite ! pas accéléré ! file ! tu as deux jours pour embrasser tes parents.

Demi-tour à droite ! pas accéléré ! jamais de ma vie personne ne m’avait parlé de ce ton-là ! Le rouge m’en vint à la figure, mais je me rappelai que rien au monde n’était plus poli que le capitaine Boilard, et, tout en mettant cette familiarité sur le compte de la joie que cela lui faisait de me voir soldat, j’arrivai au moulin.

Je faisais bonne contenance, autant que le permettait mon cœur gonflé ; mais Marguerite devina la triste chose en me voyant, et comme elle se mit à pleurer, cela fit déborder tous les yeux, même ceux de l’oncle Juste, dont l’œil était sec, depuis dix-huit ans que sa femme était morte.

Chacun me faisait ses recommandations ;