Page:Faucher de Saint-Maurice - À la brunante - contes et récits, 1874.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.

80
à la brunante.

nos réguliers vont marcher, et l’habit rouge tape fort, sans s’en apercevoir, car c’est le sang pas paraître du tout sur le costume militaire anglais. »

Le dimanche suivant, notre curé, M. Raby, nous lut au prône une lettre du grand-vicaire Roux, nous rappelant, au nom de l’évêque, toute la loyauté due à l’Angleterre : les milices allaient être appelées, et c’était donc vrai que peut-être il me faudrait retrousser mes manches de chemise jusqu’au coude, et taper les yeux fermés dans un tas de poitrines humaines, jusqu’à ce qu’à son tour le blanc farinier tombât rouge de sang, et qu’un pied de terre étrangère couvrît ses os rompus et son pauvre corps meurtri, loin du moulin si aimé et si tranquille de Beaumont.

Je roulais toutes ces pensées dans mon esprit, jusqu’au jour fixé pour le tirage au sort.

Depuis la réception de la triste nouvelle, Marguerite était devenue encore plus laborieuse que d’habitude. Elle me tricotait des bas de laine, me confectionnait quelques chaudes chemises de flanelle, et faisait ce qu’elle appelait « le trousseau du fiancé de la gloire. »

Moi, j’aurais préféré Marguerite à cette dernière. Souvent il me passait par la tête que j’aurais peut-être la chance de mettre la main sur un bon numéro ; alors je me voyais remplacer l’oncle Juste, comme meunier en chef : je me mariais, et dans la suite des années, un grand garçon brun, soigneusement charpenté, s’en venait prendre les fonctions