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à la brunante.

rêves insensés. Le docteur Turcotte, homme de cœur, véritable Providence, donnée par une autre Providence pour veiller sur ce morne cimetière de la pensée, m’avait indiqué plus d’un cas curieux, lorsque tout à coup, en tournant le carrefour d’une allée de sapins, il s’arrêta devant un jeune homme au front haut, à l’œil triste et vague qui lisait discrètement, couché sur des feuilles mortes.

— Voilà, me dit-il, un cas excessivement grave : ce jeune homme que vous voyez là offre une folie tranquille, douce, et pourtant incurable. Il passe ses journées à lire les contes fantastiques d’Hoffmann ; l’Albertus de Théophile Gauthier lui est familier, Edgard Poë ne le quitte pas, Charles Beaudelaire est son favori, et il m’est impossible de le tirer de cette littérature imprégnée de bière, de nicotine et d’opium.

— Mais, répliquai-je, n’y aurait-il pas moyen de l’en distraire et de lui ôter ces moyens d’alimenter son imagination malade, en éloignant de lui les livres qui la surexcitent ?

— Impossible, mon bon ; il est doué d’une mémoire implacable qui lui représente sans cesse les scènes les plus terribles de ces conteurs fantastiques. Vous allez en juger par vous-même.

— Jules… fit-il, en se penchant, et en lui touchant l’épaule bien doucement.

Le pauvre interpellé se retourna lentement vers le docteur Turcotte. Un instant ses yeux ternes s’arrêtèrent sur la figure honnête de celui que tout le