Page:Faucher de Saint-Maurice - À la brunante - contes et récits, 1874.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

24
à la brunante

— Oui, tu te compromets, et, ce qui est pis encore, car un garçon s’en retire toujours, tu la compromets aussi. La mère Sauviatte, en m’apportant une nouvelle graine de concombre, est venue me parler de tout cela aujourd’hui. Le bruit court dans Charlesbourg que tu vas te marier avec Ursule Trépanier ; elle s’est vantée elle-même d’avoir reçu de toi une paire de boucles d’oreilles. Elles sont en or, paraît-il, et, pour te les procurer, tu as dû sacrifier une partie du salaire gagné à la fenaison. Or, tu n’ignores pas l’usage du pays : fillette recevant cadeau devient fiancée. Je te crois trop sage pour faire pareille folie. Rien ne presse, Édouard ; reste avec moi ; cela ne te coûtera rien ; nous vivrons tant bien que mal, et avec le peu que nous possédons, il y en aura toujours assez pour faire bouillir la marmite. Comme tu as du temps devant toi, tu finiras, d’ici à ce que tu atteignes la trentaine par faire des économies ; alors tu te marieras, si le cœur t’en dit, avec une jeune fille qui te conviendra mieux sous tous les rapports qu’Ursule Trépanier, une sans-le-sou, qui n’a que l’œuvre de ses dix doigts pour dot !

Ces dernières paroles se perdirent au milieu du bourdonnement du rouet qui filait toujours.

Ma mère était penchée sur sa navette, la tête perdue dans ses pensées ; moi, je pris silencieusement mon chapeau, et m’en allai errer à l’aventure, à travers champs.

Je ne sais vraiment comment cela se fit ; mais je me trouvai tout auprès de la maisonnette de Joseph