Page:Faucher de Saint-Maurice - À la brunante - contes et récits, 1874.djvu/314

Cette page a été validée par deux contributeurs.

306
les blessures de la vie.

— Oh ! c’est là le mot ! Si tu savais combien sont longues deux années, épuisées lentement à savourer le triste arôme d’amertume qui s’échappe de cette fleur née au milieu des larmes — la souffrance.

J’inclinai silencieusement la tête : j’avais trop connu mon Paul par cœur autrefois pour hasarder un mot, inoffensif dans ma bouche, mais qui aurait pu faire cible sur lui.

Cette pensée fut comprise, et je vis errer sur ses lèvres le plus triste des sourires.

— Ne crains rien, mon ami : mes soubresauts de jadis ne se réveillent plus qu’à de rares intervalles. Il s’est tant levé de jours gris sur moi, depuis que nous ne nous sommes rencontrés !

C’était bien là un début de confidence, ou je me trompais fort.

Paul, en disant ces dernières paroles, avait tiré hors de sa poche l’étui de sa pipe. Il y coucha soigneusement la fidèle compagne de ses heures de rêverie ; puis, reculant son siège, il s’était levé.

La confidence allait venir : je l’attendais.

Mais Paul avait encore le caractère saturé de cette fierté nerveuse qu’il avait rendue proverbiale au séminaire. Inséparable gardienne de sa pauvreté, c’était elle qui jadis lui avait indiqué la porte de la classe, et elle venait encore de lui glisser une pensée à l’oreille. Dire ses chagrins, avouer quelque chose de son abandon, n’était-ce pas là demander indirectement cette aumône qu’il s’était fait un devoir de ne jamais accepter — la pitié ?