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histoire de tous les jours.

Paul, quelques amis et moi, nous l’aidions le plus naïvement du monde à filer sa toile.

Ce jour-là, nous travaillâmes donc avec une ardeur digne d’une meilleure cause. Les habitants assis en cercle nous écoutaient gravement causer de politique, de colonisation, d’intérêts agricoles, d’une foule de choses qu’ils comprenaient bien mieux que nous.

Nos arguments n’en allaient pas moins bravement leur chemin.

Une qualité leur valait les attentions de notre auditoire : Paul était excellent improvisateur, et nos paysans sont toujours restés Français de ce côté ; ils adorent la causerie.

Néanmoins, à mesure que la nuit tombait, le groupe s’éclaircissait autour de nous.

Le soir venu, je me trouvai seul avec Paul, assis auprès d’une de ces cheminées à grand cintre, souvenir de Normandie qui se retrouve encore dans nos campagnes. Nous étions silencieux, écoutant le vent rafaler au dehors, le feu grésiller au dedans. La pensée de mon ancien camarade semblait voltiger au plafond, mollement entraînée sur les longues spirales de fumée qu’il tirait de sa bouffarde, lorsque tout-à-coup, sans aucun préambule, il me posa cette question :

— Tu as dû me trouver bien excentrique le jour où je quittai le collège, n’est-ce pas, Henri ?

— Excentrique, non, Paul, mais souffrant peut-être.