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à la brunante

J’étais en train d’effiler ma faux, et, tout en repassant la pierre sur la lame bleuâtre, j’écoutais la curieuse harmonie qui sortait de ce bruissement du grès contre l’acier, lorsque je vis venir, par le sentier qui courait le long de la clôture, alerte et chansonnante, la fourche de frêne sur l’épaule, une jeune fille chaussée de souliers sauvages, la jupe de droguet gris serrée à la taille, le fichu rouge noué autour de la tête. Elle avait le teint hâlé, la voix fraîche, la main potelée, et Baptiste Loupret, qui faisait son rang tout près de moi, me dit d’aussi loin qu’il l’aperçut :

— Tiens ! Ursule Trépanier, des Éboulements ! Tu ne connais pas ces gens-là toi, mais ils sont tous taillés comme cela dans la famille ; robustes, vifs, bien plantés, honnêtes comme l’épée du roi, et pas poltrons du tout en face du travail.

La petite arrivait à nous.

Sans mot dire, elle se mit à faner.

Moi, je continuai à repasser ma faux, tout en examinant la jeune fille du coin de l’œil, et il me semblait qu’un parfum tout nouveau sortait de dessous les levées que retournait si gentiment sa fourche. Le croiras-tu Mathurin ? une femme me faisait peur alors ; j’étais timide, elle aussi, et nous ne nous serions probablement jamais parlé, si le soleil n’avait pas été si étouffant ce jour-là.

À force de remuer les bras, les sueurs coulaient du front ; il faisait chaud plein la prairie, et comme