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à la brunante

bouteilles, petites, très-effilées du col et couvertes de toiles d’araignées.

De ma vie je n’avais vu le père Chassou en pareille veine de prodigalités ; mais je me souvins à propos du proverbe arabe, que l’expédition d’Afrique venait alors de mettre à la mode.

— Le silence est d’or me chuchottai-je tout en me contentant d’ouvrir de grands yeux interrogateurs.

Il brisa très-proprement le cachet de cire verte de l’une de ces bouteilles, et abaissa le goulot sur un verre qui dormait derrière un gros cahier de musique.

Une gerbe d’or jaillit, et le père Chassou, ricanant sec comme toujours, me dit :

— Goûte-moi ça, mon gars.

— À votre santé, père Chassou ! Il est bon, très-bon.

— S’il est bon ! je le crois bien, tu n’es pas dégoûté, mon garçon, du Constance de 1793 ! À ta santé, Mathurin.

Fichtre ! 1793, c’est bien loin ça ! hazardai-je pour réparer ma gaucherie.

— Oui, mon enfant, répondit-il, en hochant la tête, loin, bien loin, car c’est l’année de ma naissance.

Il but à petites gorgées, puis reprit gravement :

— Et il y aura aujourd’hui trente ans que le missionnaire de la Rivière-Rouge est né.

— Comment le missionnaire de la Rivière-Rouge ? répliquai-je tout étonné.