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à la brunante.

éclat de foudre, et alors les gens de l’Edgar virent ce que n’a jamais vu l’œil humain.

Une gerbe éblouissante sortit du fleuve ; la colonne de feu monta dans les airs, luttant de force avec l’ouragan qui cherchait à l’empoigner, et, dans sa lutte échevelée, l’immense ruban rouge éclaira en serpentant le plus grand tableau d’horreur que puisse présenter la mer.

Aussi loin que la vue portait, le Saint-Laurent était rouge d’uniformes anglais. Partout des têtes humaines et vivantes se heurtaient contre des fronts morts, et des centaines de nageurs cherchaient à se délier de tout un monde de cadavres qui, insoucieux, dansaient sur la crête des vagues.

Au loin, sur l’île-aux-Œufs, huit frégates éventrées recevaient dans leurs coques ébarouies les lames qui venaient s’y engouffrer, et cette gerbe miroitante qui courait se perdre dans les replis de la tempête était tout ce qui restait du vaisseau-poudrière.[1]

Un cri rauque sortit de la chambre du commandant et un homme en robe de chambre et en pantoufles s’élança sur la dunette de l’Edgard en criant :

— Le Léopard ! qu’est devenu le Léopard ?

C’était l’amiral Walker.

Hélas ! le Léopard était émietté comme les autres sur les terribles crans de l’Île ; et, ce qui est pénible à

  1. Ce désastre est raconté de la manière la plus saisissante et la plus dramatique par la mère Juchereau St. Denys, dans son Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec.