Page:Faucher de Saint-Maurice - À la brunante - contes et récits, 1874.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

180
à la brunante.

de la reine Anne. C’était triste ; mais c’était comme cela ; et il fallait digérer ce malheur, sans rien dire, car derrière l’Edgar, filaient les soixante-dix-neuf gros vaisseaux de ligne de l’ennemi.

Que faire en pareil cas, Louison ? se tenir tranquille, n’est-ce pas ? Eh ! bien oui, je suis de ton avis, et ce qui va te consoler, c’est que c’était aussi celui de l’arrière grand’père de Jean. Ah ! c’était un rude pilote tout de même, qui connaissait le fond de son Saint-Laurent sur le bout du doigt.

À un cheveu près, il savait où gisaient le moindre récif, le plus petit banc de sable, les cayes les plus inoffensives, et comme cette réputation là n’était pas volée, elle s’était répandue parmi les Bastonnais qui virent dans cette capture une cause providentielle.

À bord, on le nourrit bien, on le régala même ; il avait un beau cadre pour dormir : bref, on le traitait comme un véritable officier ; mais toutes ces attentions passaient sur la rude écorce de Paradis, sans la rendre plus flexible.

Pour âme au monde il n’aurait voulu toucher à la barre du gouvernail ; car avant d’être marin, il était Canadien-Français.

Tout avait été mis en œuvre pour venir à bout de cette volonté de fer, sans pouvoir la mordre, et tout en discutant, à force de suivre la vague, on se trouvait déjà par le travers de l’Île-aux-Œufs, cette même île où nous jasons si mal à l’aise, ce soir.