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mon ami jean.

du bout de l’aile et en extrayant les sucs les plus purs et les plus parfumés.

Depuis, ces pauvres papillons se sont brûlés les antennes aux feux de la méchanceté et de l’égoïsme. Ils ne volent plus, ils rampent ; mais il en était ainsi autrefois. Ils planaient haut, très-haut : ils butinaient du meilleur, et puisque c’était comme cela, il me faut bien vous le dire.

Jean était beaucoup plus poëte que moi, et si aujourd’hui je parle tant bien que mal de son imagination d’artiste, c’est que ses longues conversations qu’il ne cessait de trouver sur le beau, l’idéal et l’immortalité du talent, se sont un peu déteintes sur moi. Si on l’exigeait, j’écrirais même tout un volume de ce qui m’en reste ; mais avant tout, il me faut continuer ce récit, et maintenant j’irai jusqu’au bout sans me laisser détourner par tout ce que l’aimable souvenir de mon ami me chuchote encore à l’oreille.

Un soir donc, il entra tout en nage chez moi, et sans transition, s’asseyant brusquement sur mon lit, il me dit :

— C’en est fait, Henri ! j’aime Julie et je donnerais tout au monde pour savoir ce que son cœur pense de moi !

Ce que son cœur pensait de lui ! mais mon pauvre Jean, il ne fallait pas être bien malin pour le deviner, car depuis longtemps, je voyais ces deux amours naître et grandir au fond de leurs âmes.