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le fantôme de la roche.

balles que le Royal Roussillon et le Royal Angoulême faisaient grêler sur les rudes montagnards de son régiment, au terrible jour de la bataille des plaines d’Abraham.

Tout le monde courait à travers champs ; on les voyait venir à qui mieux mieux, croyant trouver la maison ou les bâtiments en feu ; mais le capitaine Fraser, sans répondre aux questions, sonnait toujours du cor, jusqu’à ce que Louis Vallières, le dernier arrivé, eût mis le pied dans la salle où d’ordinaire les travailleurs mangeaient.

Alors il ferma la porte, se fit apporter un fauteuil, et faisant asseoir tout le monde, leur dit :

— Mes enfants, j’ai tenu à vous réunir ici pour vous dire combien je suis heureux de vous voir tous assidus au travail et aimer l’agriculture. Continuez ; votre pain se gagnera toujours honnêtement, et vous vous assurerez une vieillesse honorée. Je n’ai pas cessé de songer à votre bien-être, et quand je ne serai plus là, mes héritiers ont ordre de vous traiter avec la même sollicitude. Maintenant veuillez me pardonner les torts que j’ai pu avoir vis-à-vis de vous ; l’homme est né pécheur, et bien des fois j’ai pu vous froisser par ma sévérité ; aujourd’hui l’heure de l’oubli est venue. Ne cessez pas d’être doux et bienveillants pour vos semblables. Tout est récompensé en ce monde, et parce que jadis je fus bon envers un nécessiteux, je viens de recevoir une grâce inespérée.

Dieu a permis que je fusse averti : au soleil couchant je dois mourir.