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le fantôme de la roche.

Là, il vivait heureux et honoré ; ses capitaux étaient utilisés de manière à ne semer que l’amour et les joies du travail. Il s’appliquait surtout à donner un véritable cours d’agriculture pratique aux paysans, et chacune des grosses récoltes qu’il engrangeait prouvait plus contre la vieille routine que n’importe quel argument. Les saines leçons qu’il avait puisées dans ses champs d’Écosse le servaient à ravir, et chaque année mon oncle s’enrichissait à vue d’œil, si l’on en croyait les belles luzernes, les blés magnifiques et les seigles de la plus belle pousse, que vers l’automne il s’en allait gaiment échanger à la ville contre du bon or anglais.

On était alors vers le 21 octobre 1779 ; mon oncle venait d’avoir 41 ans, et comme il savait profiter de tout et ne remettait jamais au lendemain ce qui pouvait se faire la veille, il était dans son champ et donnait des ordres pour le faire labourer.

L’été des sauvages arrivait, et ce matin là, le temps s’était révélé superbe pour la charrue et pour les bœufs. Leurs grands naseaux fumants humaient à délices les chaudes effluves qui sortaient du sol : au loin la nonnette et la mésange jetaient leurs cris plaintifs dans les feuilles qui, avant de mourir, se drapaient frileusement sous leurs couleurs vives et pleines du jeu des lumières. On aurait dit qu’un souffle de printemps passait sur la prairie : l’insecte bruissait sous l’herbe jaunie, le vent était tiède, le soleil chaud, et pourtant toute cette nature allait mourir et disparaître avant un mois sous un épais linceul de neige.