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un drôle de voyage

se résigner à se taire, prit le parti de converser avec lui-même, pour utiliser son insomnie.

Mais ces conversations-là ne durent jamais longtemps.

L’avant-dernière pensée de Charlot fut plus sage que les autres : « C’est égal, se disait le pauvre garçon, on était bien mieux couché chez maman. » Et la dernière pensée fut bonne tout à fait : « Dès que nous serons arrivés en Amérique, nous écrirons à nos papas et à nos mamans pour leur demander pardon de les avoir quittés. » Et comme une bonne pensée en amène une autre : « Si je faisais ma prière, se dit-il, cela défâcherait le bon Dieu, qui n’est peut-être pas content non plus. »

Il la commença avec ferveur, sa prière ; je crois bien cependant qu’il s’endormit avant de l’avoir terminée tout à fait, mais l’intention y était.

Mimile et Charlot reposaient donc profondément depuis quelques heures quand le jour reparut.

Un vacarme effrayant les réveilla en sursaut.

Tous deux, comme s’ils étaient mis en mouvement par un même ressort, se trouvèrent assis sur leur paille dans la même seconde.

Ils se regardèrent alors avec une surprise mêlée d’un certain effroi.

« Qu’y a-t-il ? demanda enfin Mimile.

— Je ne sais pas, » répondit Charlot.

La porte de leur chambre à coucher s’ouvrit alors avec fracas, et leur patron, qui les avait accueillis si gracieusement la veille, entra en s’écriant d’une voix rude :

« Allons !… debout les mousses ! Le moment est venu de gagner sa pitance ; on vous attend sur le pont. »