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JEAN-PAUL

encore un ami, un vrai. Il y a un élève avec qui j’aimerais bien à me lier. Mais il est finissant, il ne se soucie guère de ma personne. S’il savait ce que je pense, ce que je désire de lui, il raillerait mes prétentions de pauvre rhétoricien. Heureusement qu’il les ignore, et qu’il n’en saura jamais rien. Car lorsque je le rencontre, je prends un air indifférent. Lui n’a jamais songé à moi, si ce n’est pour me jeter parfois un regard étrange où ma susceptibilité soupçonne quelque chose d’indiscret. Et pourtant s’il le voulait…

Le journal s’arrêtait là. Oh ! il y avait encore quelques phrases éparses jetées en passant, et où transpirait un mélange de chagrin et d’aigreur. Mais le Père, qui connaissait bien la récente histoire de son jeune ami, comprit la pudeur qui l’avait retenu, et compléta lui-même le vague des dernières impressions. Il ferma le cahier, mais continua à lire dans l’âme qui venait de se livrer avec plus d’abandon que jamais. Il crut la saisir davantage. Il entrevit mieux cette nature généreuse et souffrante, ce cœur ardent, poussé vers un noble idéal. Il crut percevoir aussi le dédoublement étrange qu’on découvre souvent chez les adolescents ; il distingua la vie de façade et la vie réelle de l’âme. Grâce à cette vision sommaire, mais plus profonde, un nouveau programme d’action se dessinait à ses yeux.