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la plus belle minute de sa vie. Il trouva le maître en train de se maquiller.

— Comment vous appelez-vous ? demanda Mounet Sully.

— Arquillière.

— Arquillière ! répéta le grand acteur en continuant de tendre le menton et de lever le cou devant son miroir.

La conversation du génie et du débutant ne fut qu’une suite de silences et de petits mouvements. Le jeune souhaitait d’être à dix pieds sous terre. Enfin, comme on ne lui facilitait pas une entrée en matière, il prit le parti de s’éclipser discrètement. Il n’avait pas fait vingt pas qu’il s’entendit brusquement appeler d’une voix de tonnerre :

— Arquillière ! Arquillière !

Le jeune homme remonta les escaliers quatre à quatre et se précipita dans la loge qu’il venait de quitter, désolé d’être parti si vite et sans s’excuser. — Qui êtes-vous ? demanda Mounet Sully.

— Je suis Arquillière… vous m’avez appelé…

— Mais non, murmura Mounet Sully, je me faisais la voix. Arquillière, c’est très sonore.

Et il continua de prononcer le nom d’Arquillière sur tous les tons.

Les acteurs d’aujourd’hui n’éprouvent plus la même admiration mêlée de crainte pour leurs grands aînés. Il est vrai qu’il n’y a plus de grands aînés, et que les vedettes de cinéma ont brouillé les cartes et singulièrement élevé le nombre des acteurs admirables. Seule la foule, une foule pieuse,