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Le bar était-il plein comme un œuf, il s’arrangeait pour que l’habitué, l’ami ou l’inconnu qui arrivait tard, trouvât toujours une table, un coin, un renfoncement. En cinq coups de cuiller à pot, Gaïa fut à la mode.

L’endroit faisait jeune. La gaîté y fusait de toutes parts, juteuse, nouvelle, centripète, et Paris de rappliquer.

Un tout Paris qui ne dédaignait pas de mettre la main à la pâte. Tour à tour, un peintre, un poète allaient prendre possession du jazz. Les femmes qui lançaient les modes d’alors dansaient comme chez elles, le maquillage franc, le corps secrètement disponible. Ah ! si j’osais m’étendre sur quelques bonnes fortunes de ce bon temps ! Mais déjà les carreaux de la boîte volaient en éclats en même temps que sa renommée s’infiltrait dans les coins les plus barricadés de la capitale. La compagnie des Six venait de se créer sous le patronage d’Erik Satie, vrai maître, inventeur d’une musique « maisonnière ». Les Six furent Auric, Poulenc, Honegger, Germaine Tailleferre, Durey et Darius Milhaud. Groupe délicieux, dans le sillage duquel évoluait une sorte de collégien de génie, when they are so clever, they never live long, Raymond Radiguet. Au-dessus de ce bouillonnement de trouvailles, de sonates, de sauces anglaises et d’adultères rapides, s’élevait le petit soleil de la gloire d’Apollinaire.

Un jour, pourtant, il fallut déménager. Moyses, qui est resté grand sourcier, découvre un