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aller au café, pour y organiser des matches de boissons, ou pour y entonner, avec des camarades, des hymnes patriotiques.

Le soir, Montmartre ne vit que par ses cafés qui entretiennent dans le quartier toute la lumière de la vie. Rangés le long du fleuve-boulevard comme des embarcations, ils sont à peu près tous spécialisés dans une clientèle déterminée. Café des joueurs de saxophone sans emploi, café des tailleurs arméniens, café des coiffeurs espagnols, café pour femmes nues, danseuses, maîtres d’hôtel, bookmakers, titis, le moindre établissement semble avoir été conçu pour servir à boire à des métiers précis ou à des vagabondages qui ne font pas de doute. Un soir que j’accompagnais chez lui un vieil ami qui avait fortement bu dans divers bars de la rue Blanche, nous fûmes arrêtés par un « guide » qui, nous prenant pour des étrangers, nous proposa un petit stage dans des endroits « parisiens », et il insistait sur le mot. Nous lui fîmes comprendre que nous étions plus parisiens que lui ; puis, sur sa prière, nous le suivîmes dans des cafés où, le service terminé, se réunissent des garçons et des musiciens. Ils sont là dans l’intimité, chez eux, car ils veulent aller au café aussi, comme des clients. On nous servit « ce qu’il y a de meilleur ». Au petit jour, mon compagnon, complètement ivre, me disait, tandis que nous longions des rues toujours éclairées : « Montmartre est une lanterne aux mille facettes. »

Pour ceux qui se couchent à minuit, dédai-