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lités sordides et aux escaliers grouillants de bacilles, humanité que rien ne console.

Car ce qui manque le plus à la Chapelle, c’est une intimité. On ne peut saisir les rues ni les quartiers dont elle se compose : ils existent dans le tournoiement. On ne devine personne, on ne pince aucun type. Les gens de la Chapelle pensent à servir, à faire face aux commandes. L’œil est au jambon, à la limande, aux poireaux. On travaille. Et l’on y rase mieux, de plus près, plus doucement que sur les boulevards, où les coiffeurs à bagues parlent anglais et ne savent pas ce que c’est qu’une peau d’homme…

Bien que je n’y habite pas en ce moment — mais j’y retourne à chaque instant pour y retrouver mes chers fantômes, et j’y reviendrai peut-être un jour, honteux et repentant — je tiens ce que j’appelle mon quartier, c’est-à-dire ce dixième arrondissement, pour le plus poétique, le plus familial et le plus mystérieux de Paris. Avec ses deux gares, vastes music-halls où l’on est à la fois acteur et spectateur, avec son canal glacé comme une feuille de tremble et si tendre aux infiniment petits de l’âme, il a toujours nourri de force et de tristesse mon cœur et mes pas.

Il est bon d’avoir à la portée de l’œil une eau calme comme un potage de jade à la surface