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gubre et prenant, ce paradis des paumés, des mêmes de la cloche et des costauds qui ont l’honneur au bout de la langue et la loyauté au bout des doigts, cet Éden sombre, dense et nostalgique que les soldats célèbrent le soir dans les chambrées pour venir à bout de l’ennui solitaire. C’est aussi la Chapelle nocturne que je connais le mieux et que je préfère. Elle a plus de chien, plus d’âme et plus de résonance. Les rues en sont vides et mornes, encore que le cri des trains de luxe lui envoie des vols de cigognes… La file indienne des réverbères ne remplace pas la disparition de cette accumulation de boutiques qui, de jour, rend le quartier comparable à des souks africains. L’arrondissement tout entier trempe dans l’encre. C’est l’heure des appels désespérés qui font des hommes des égaux et des poètes. Rue de la Charbonnière, les prostituées en boutique, comme à Amsterdam, donnent à l’endroit un spectacle de jeu de cartes crasseuses. Des airs d’accordéon, minces comme des fumées de cigarettes, s’échappent des portes, et le Bal du Tourbillon commence à saigner de sa bouche dure…

Un intérieur bourgeois, entrevu au second étage d’un immeuble inattaquable et rigide comme une base de pyramide, au lieu de communiquer des idées de suicide et d’obliger le promeneur à s’enfoncer dans la tristesse, fait au contraire naître en moi une singulière admiration pour des milliers et des milliers d’êtres que la vie condamne à l’appartement malsain, aux mensua-