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clients qui sont partis sans payer. Et l’on ne peut se faire justice soi-même, car les trésors de cette réserve, véritable dock, ne peuvent être fracturés avant trente ans… Dans la chaufferie qui bat lentement comme un cœur, je tâte le pouls de l’hôtel, et j’aperçois en passant, un peu plus loin, la mise en bouteille du vin des courriers, que l’on soigne comme des princes, ou des policiers secrets, car les courriers ne sont autres que les domestiques personnels de la clientèle, c’est-à-dire qu’ils sont plus puissants que les puissants qu’ils servent, ces derniers seraient-ils les vrais Kapurthala…

Sur le seuil des appartements, nous sommes accueillis par la voix douce et prête à tout de la gouvernante. Un pur silence entoure la vie privée des grands oisifs de ce monde. Les ascenseurs s’élèvent sans tousser, sans se plaindre de varices. Des boîtes aux lettres sillonnent le trajet vertical. Des toilettes ravissantes et silencieuses courent entre les étages, très vite, comme en rêve. On n’a plus besoin de sortir. Toute la vie est là, sans la moindre bavure. On comprend cet Anglais qui, au retour d’un voyage en U.R.S.S., et comme on lui demandait ses impressions, se borna à coller, côte à côte, deux échantillons d’un papier très spécial provenant respectivement d’un Hôtel Rouge et du George-V, et sur lequel il écrivit ces deux seuls mots : Moscou, Paris…