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compte par une piqueuse appelée à Charonne un jour de mariage, et, parfois, quelque renard argenté qui n’est plus guère qu’un plumeau, et qui finit à seize francs par mois une existence commencée sur des épaules très « avenue du Bois ».

Le bruit de la ligne Dauphine-Nation, pareil à une plainte de zeppelin, accompagne le voyageur jusqu’à ces quartiers cernés de cheminées d’usines, lacs de zinc où la rue d’Aubervilliers se jette comme une rivière de vernis. Des vagissements de trains égarés servent de basse au paysage. À toute heure du jour, des équipes d’ouvriers vont et viennent le long des cafés au front bas où l’on peut « apporter son manger », laisser ses gosses « pour une heure », et dormir parfois sans consommer.

Le prix de la vie y est certainement moins élevé que partout ailleurs, mais les commerçants sont hostiles au crédit. De là, sans doute, le secret de leurs charcuteries opulentes et des Renault bien sages que l’on promène le dimanche, autant pour les montrer que pour rouler. Encore pourrait-on discuter sur la vanité des gens de la Chapelle. C’est un quartier pur, à la fois riche et serré, ennemi de Dieu et du snobisme. Les touristes qui s’arrêtent devant la charmante église de la place de Joinville, si florentine de ton, et les gourmets qui arpentent les rues pour dénicher un petit restaurant font naître le même sourire méprisant sur le visage des indigènes…