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comme Flaubert s’appelait Flaubert et M. Thiers M. Thiers. On croit volontiers, loin de Paris, là où le Ritz recrute justement le plus étincelant de sa clientèle, que Ritz serait plutôt un mot comme Obélisque, Tour Eiffel, Vatican ou Westminster, voire Jérusalem ou Himalaya. Ce point de vue se défend. Je disais un soir à Marcel Proust, qui venait précisément de commander pour nous, à minuit, un melon frais au Ritz, que je rêvais de composer un catéchisme à l’usage des belles voyageuses ornées de valises plus belles encore. Catéchisme dont l’idée m’avait été fournie par une conversation que j’avais eue dans un salon avec les plus beaux yeux du Chili :

— À quoi rêvent les jeunes filles fortunées ?

— À la vie d’hôtel.

— Quels sont leurs hôtels préférés ?

— Elles préfèrent toutes le même : le Ritz.

— Qu’est-ce que le Ritz ?

— C’est Paris.

— Et qu’est-ce que Paris ?

— Le Ritz.

« On ne saurait mieux dire », murmurait Proust, qui eut toujours pour cet établissement une tendresse mêlée de curiosité. Il aimait, lui si expansif, qu’on y observât très sérieusement la première et la plus noble règle des hôtels : la discrétion. Discrétion absolue, obturée au ciment armé, et du type « rien à faire ». Il avait été profondément intéressé aussi, un soir, par le métier d’hôtelier, qu’il trouvait un des plus humains de tous et le mieux fait pour recueillir, palpitant,