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inspirer à la fois Bourget, Steinlen et Kurt Weil. Maîtresses ornées de grosses bagues et de sautoirs, qui portent le deuil quand leur amant a perdu quelque grand-père, et dont les seins robustes évoquent toute une série de méditations consacrées à la maternité fictive. Maîtresses sérieuses.

Bien sûr, le quartier est aussi celui des femmes pour « sidis », des bagarreurs qui ne peuvent distinguer l’adversaire qu’en fermant à demi les paupières, des chercheurs de « corridas » qui s’échelonnent de débit en débit le long des grands murs de la rue de Tanger ou du canal de l’Ourcq, que les marchands de charbon pour sports d’hiver ont colonisé, baptisé, adopté, donnant aux ruelles leurs noms célèbres sur les sacs. Mais cette faune est parasitaire.

Elle s’est établie à la Chapelle, ou à la Villette. Elle s’est reproduite dans l’atmosphère humide et fumeuse du canal Saint-Martin, dans le jus des abattoirs, pour les raisons qui conduisent les bourgeois à éviter le pittoresque du dix-neuvième.

Si j’ai une tendresse particulière pour cet endroit de Paris, c’est que j’y suis presque né. J’avais quatre ans lorsque mon père s’installa à la Chapelle, là où se trouve aujourd’hui le cinéma « le Capitole », et où il faillit faire fortune en vendant des « plumes miraculeuses écrivant sans encre », qui annonçaient le stylo, et en introduisant dans le marché un nouveau traitement chimique des perles de couleur. Je revins dans le